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Grégoire peut mieux faire

Synopsis

Grégoire et Ishem sont dans la même classe de seconde, dans un lycée considéré comme “bon’’. Grégoire commence à rejeter l’école et à manifester son opposition à toute autorité.
Pour ses professeurs, il gâche ses chances. Le proviseur du lycée se voit obligé de ne plus permettre l’admission en cours d’Ishem, inscrit frauduleusement et pourtant considéré comme un élève sérieux.
Tandis que le jeune garçon et sa mère mènent une lutte obstinée pour qu’il ne soit pas exclu définitivement, Grégoire, lui, semble s’acharner à s’enfoncer dans une dérive d’échec et d’exclusion à laquelle aucun adulte n’arrive à apporter de réponse.

Thèmes : Emigration

Réalisateur(s) : Faucon, Philippe

Pays de production : France

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Edition du festival : Maghreb des films novembre 2010

Année 2001 / 69’ 

Scénario Philippe Faucon et Soraya Nini

Image Laurent Fenart

Son Alberto Crespo-Ocampo

Montage Sophie Mandonnet

Production ARTE France, Akela Productions

Avec Anthony d’Haene, Lynda Benahouda, Salima Guedja, Ali Allouche, Blanche Finger, Jamila Tavernier, Geneviève Gautier.

Commentaires de Marion Pasquier
Grégoire peut mieux faire, téléfilm produit par Arte en 2001, est en partie l’histoire de deux élèves de seconde, Grégoire et Ishem, dans un lycée coté à Marseille. Grégoire, mal dans sa peau, insolent, refuse de travailler en classe et s’oppose à toute forme d’autorité, professorale ou familiale. Ishem, fils d’immigrés algériens, est au contraire un excellent élève.
Seulement voilà : la carte scolaire étant encore de vigueur, pour être admis dans ce lycée Ishem a dû tricher (l’endroit où il habite étant situé en ZEP). Lorsque la proviseur découvre la fraude, l’adolescent est interdit de cours. Tandis que Grégoire accumule les absences et les retards, Ishem prend la peine de venir, tous les jours, attendre devant la porte close où sont donnés les cours.

Par cette histoire, Philippe Faucon dresse entre autres le portrait de deux adolescences possibles. Grégoire est exaspérant de malaise : ingratitude physique, attitudes provocatrices et insolentes envers les adultes, difficultés à s’intégrer auprès d’autres adolescents... Nous comprenons que sa souffrance est due au complexe d’infériorité qu’il nourrit à l’égard de son frère, mais son comportement peut apparaître inacceptable et le rendre antipathique : né dans une famille aisée (même si le père vient d’être licencié), Grégoire rejette ce à quoi Ishem se désespère de ne plus avoir accès, une éducation de qualité. Ce dernier vit dans une cité d’un quartier défavorisé, avec sa mère qui se tue au travail pour lui payer les études auxquelles elle n’a pas eu droit, et sa grand mère qui s’occupe des tâches domestiques. Les parents de Grégoire sont désarmés devant l’attitude de leur fils, ils ne la comprennent pas et ne savent comment l’appréhender. La famille d’Ishem, elle, soutient ce dernier, l’encourage, fait ce qu’elle peut pour qu’il puisse réintégrer sa classe.

La mise en perspective des trajets respectifs de Grégoire et Ishem soulève notamment le problème du critère de sélection des lycéens. N’est-il pas inique d’obliger un élève brillant à aller dans une ZEP parce que son lieu d’habitation en dépend ? Le critère géographique n’échoue t-il pas à résorber les inégalités ? N’en créé t-il pas de nouvelles formes ? La proviseur intervient à plusieurs reprises. Garante de la loi, elle se contente de l’appliquer, même si elle dit le faire à contre cœur : Ishem a triché, il est renvoyé. Sinon, imaginez combien de gens vont se servir de son exemple pour resquiller ! Autre argument, garder Ishem serait une injustice vis à vis des élèves dans le même cas que lui et qui n’ont pas été admis. À l’abri derrière de tels principes, simples, elle refuse d’envisager une solution adaptée au cas Ishem. Sans être vraiment détestable (elle dit regretter d’être « obligée » de prendre une telle décision), cette proviseur peut représenter ce qu’ont d’insupportables l’inflexibilité, le refuge derrière des règles strictes et non négociables. La majorité des professeurs ne fait pas davantage d’efforts, ils obéissent aux instructions de la direction et interdisent à Ishem de rentrer dans leur classe.

Les seules à se révolter contre ce qui arrive à Ishem sont de jeunes maghrébines de sa classe. À défaut de pouvoir changer les choses, elles font ce que leur bon sens leur dicte de faire, exprimer leur sentiment d’injustice devant ces portes qui se ferment sur Ishem. Ce groupe de jeunes filles ouvre le film sur une autre dimension que son intrigue et les problématiques qu’elle soulève. Naïma (Lynda Benahouda, l’interprète principale de Samia), Leïla et les autres, sont des personnages au sens où elles s’intègrent dans l’histoire fictive de Grégoire et Ishem. Mais elles sont peut-être davantage des adolescentes que Philippe Faucon a envie d’observer avec une approche toute documentaire. Pendant de longues scènes, il reste près d’elles, les regarde et les écoute parler, de leur vie au lycée, de leurs vacances au bled... Ces filles sont pleines de vie, visiblement bien dans leur tête et dans leur peau, et elles travaillent bien en classe. C’est ici le français (Grégoire) qui a du mal à s’adapter, les maghrébines étant parfaitement intégrées. Naïma est rayonnante : autant que dans Samia, Lynda Benahouda frappe par sa forte présence, sa franchise, son bon sens, son énergie, sa spontanéité. Drôle et touchante, elle donne autant de souffle au film que Grégoire lui donne de la pesanteur. Dans une scène drôle et pathétique, où Grégoire tente laborieusement de faire une déclaration d’amour à Naïma, c’est tout le décalage entre sa perspicacité à elle et sa maladresse à lui qui transparaît.

Les jeunes filles ne sont pas les seules à être objets d’une observation soutenue de la part du cinéaste. Ce sont elles qui reviennent le plus souvent, elles qui marquent le plus, mais tous les lycéens intéressent Philippe Faucon. Sur la pelouse pendant une pause, au self, à l’entraînement d’aviron... de longs moments, arrachés à toute diégèse, nous permettent de les observer, de faire connaissance avec eux. Philippe Faucon ne juge jamais ses personnages. Les pauses documentaires qu’il s’octroie parfois ne font ainsi que pousser à l’extrême sa posture d’observateur respectueux et le regard plein d’amour qu’il porte, ici comme dans ses autres films, sur ses personnages.

Extrait de Critikat

A propos
Propos recueillis par Christine Guillemeau (Arte) :
- Dans cette histoire, vous mettez en parallèle deux familles. Celle de Grégoire, d’origine française, et celle d’Ishem, d’origine maghrébine. Deux parcours qui induisent deux comportements différents ?
Grégoire est un garçon à qui l’école semble ne pas réussir. Il est d’un milieu assez aisé et il n’est absolument pas envisageable pour ses parents qu’il puisse abandonner. Sa famille se trouve soudain, par le licenciement brutal du père, confrontée à une situation de difficulté qui est inhabituelle pour elle. La mère d’Ishem, au contraire, a eu constamment à se battre pour se “hisser’’ socialement et elle se démène pour que ses enfants aient accès à mieux que ce à quoi elle-même a eu droit. Ishem, défavorisé socialement, qui veut se donner toutes les chances de réussite, s’accroche en classe ; tandis que Grégoire, à qui l’on impose quelque chose qui ne lui convient pas, est dans un rejet de l’école.
- Il y a d’un côté les “bons’’ lycées, favorisant les chances de réussite, et de l’autre, tous les autres, souvent classés en ZEP. La carte scolaire est-elle, selon vous, le reflet d’une société inégalitaire ?
C’en est, en tout cas, l’un des reflets. On a de temps en temps en France - ces derniers temps en particulier - le sentiment d’une justice à deux vitesses. Il semble se profiler pour l’avenir la réalité d’une santé à deux vitesses ou d’une école à deux vitesses. La carte scolaire a pour principe d’empêcher la dévalorisation de certains lycées, et la sur-cotation de certains autres, en empêchant la convergence des plus favorisés vers les mêmes endroits. Mais ça suppose aussi que les établissements des quartiers les moins favorisés soient les plus soutenus, et non l’inverse.
- Au terme de son combat, la famille d’Ishem est perdante. Quel sens peut-on donner au “cadeau” que Grégoire fait à Ishem, relégué dans un lycée “ordinaire” ?
Grégoire, comme beaucoup de jeunes chez qui la mixité sociale s’opère davantage que chez leurs aînés, a une compréhension intuitive de cette inégalité. Il sait que les chances ne sont pas aussi égales que l’administration s’évertue à le dire. En volant une calculatrice pour Ishem, il proteste à sa manière contre un système qu’il sait injuste. Lorsque des adolescents piquent ou dégradent, y compris sous des formes violentes, il s’agit souvent de cela, au fond : d’une protestation.
- Qu’est ce qui vous fascine tant dans ce monde de l’adolescence que vous ne cessez pas de filmer ?
C’est une question que l’on me pose souvent. Ce qui m’intéresse, ce sont les enjeux de lutte. L’adolescence, c’est l’âge où l’on éprouve le besoin de s’affirmer et d’entrer dans la vie et où se posent pour la première fois ces enjeux. J’aime filmer des gens en situation soit de se battre, soit de s’affirmer.