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Marock

Synopsis

Casablanca, l’année du Bac... L’insouciance de la jeunesse dorée marocaine et tous ses excès : courses de voitures, amitiés, musique, soirées, mais aussi les premières histoires d’amour et l’angoisse de passer à l’âge adulte...

Marock comme un Maroc qu’on ne connaît pas, à l’image de Rita, 17 ans, bien décidée à vivre comme elle l’entend.

Thèmes : Société maghrebine

Réalisateur(s) : Marrakchi, Laïla

Pays de production : Maroc

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Edition du festival : Maghreb des films novembre 2010

Année 2005 110’ 

Scénario Laila Marrakchi

Image Maxime Alexandre

Montage Pascale Fenouillet

Son Pierre André

Production Lazennec. chossard@lazennec.com. Tel : 01 53 04 41 00

Distributeur La Fabrique de Films

Avec Morjana Alaoui, Matthieu Boujenah, Razika Simozrag, Fatym Layachi, Assaad Bouab, Rachid Benhaissan, Khalid Maadour...

Commentaires de Sarah Elkaïm

Au pays de Mohammed VI, les jeunes filles de la bourgeoisie s’habillent en mini-jupes, fument des pétards avec leur copain homosexuel ou se prennent encore des cuites en discothèque. C’est aussi ça, le Maroc. Avec Marock, Laïla Marrakchi filme la nostalgie de nos dix-huit ans. Un film générationnel qui pourrait bien devenir culte chez les adolescents.

« Vous vous croyez où ? En Suède ? » demande le gardien, « Ah ! On ne peut vraiment rien faire dans ce pays ! » râle Rita. Scène banale sur le parking d’une boîte de nuit, un samedi soir à Casablanca, où le gardien contrôle les papiers d’identité des jeunes couples s’éternisant dans leur voiture.
Au Maroc, la liberté d’expression n’est pas toujours évidente et les mœurs pas aussi libérées qu’en Occident. Mais le pays évolue. Depuis la fin du règne de Hassan II (1956-1999), l’Instance Equité et Réconciliation (IER), chargée de faire la lumière sur les atteintes aux droits de l’homme dans le royaume, est passée par là ; sa mission s’est achevée le 30 novembre 2005. Une « ère nouvelle » s’est ouverte avec Mohammed VI, qui a réformé le Code de la famille en 2003 (datant de 1957, il n’avait pas été modifié depuis 1993) ; la responsabilité conjointe des époux au sein de leur famille a ainsi marqué la fin de l’inégalité juridique entre l’épouse et son mari et la règle qui soumettait la femme à la tutelle d’un membre mâle de sa famille et faisait d’elle une éternelle mineure a été abolie.
Tout n’est pas encore acquis, loin s’en faut. Lors du dernier festival du film de Tanger, Marock a suscité une polémique, ses pourfendeurs déplorant le fait qu’il donne une image de la société marocaine qu’ils auraient préférée qu’on ne montre pas. Même le secrétaire général du syndicat du théâtre marocain, Mohamed Hassan El Joundi, a lancé un communiqué dans lequel il appelle au boycott du film ; dans ce texte, il est question de « lobby extérieur », d’« asservissement » à une « nouvelle francophonie », d’une atteinte à « la dignité du Maroc et des Marocains ». Il y a peu de temps, des journalistes ont été emprisonnés.

Marock, c’est justement la volonté de montrer un autre pan de ce pays, loin de certaines représentations misérabilistes ou folkloriques. La réalisatrice souhaite rétablir une vérité sur son pays (non, toutes les femmes ne sont pas voilées et tous les hommes ne s’engagent pas sur la voie d’un islam radical, oui, les jeunes boivent de l’alcool, font des courses de voiture et se fichent de certains préceptes religieux), mais le Maroc c’est aussi la pauvreté. Mais ce n’est pas le propos ici !
Laïla Marrakchi a surtout empoigné à bras le corps le thème du passage à l’âge adulte ; avec ses espoirs, ses doutes, ses transformations, un thème universel par essence. À ceci près que prendre son envol, conquérir sa liberté en s’affranchissant de la tutelle familiale et de celle des traditions prend un relief particulier dans un pays fait de paradoxes et d’entre-deux.
Mais faire un film sur l’adolescence n’est pas chose aisée. Le film prenant pour propos une banalité adolescente (les conversations entre copines autour des mecs, les cuites du week-end, les heures passées à élaborer sa tenue de sortie, le premier baiser...) peut vite virer à la bluette sentimentale mièvre ; ce qui n’est pas le cas ici, même si l’héroïne de Marock est une adolescente comme il en existe aux quatre coins de la planète.
Rita, 17 ans, à quelques mois du bac, traîne avec ses copines sur l’immense toit en terrasse de la luxueuse villa de ses parents, en écoutant David Bowie et en retardant le moment des révisions. Très entourée, Rita ne manque de rien. Sans complexe, c’est une jeune fille moderne qui sort en mini-jupe, fume et boit en cachette de ses parents, tombe amoureuse. Mais l’heureux élu s’appelle Youri, il est juif, et ce n’est pas tout à fait du goût de ses parents ; encore moins de son frère, Mao, qui depuis quelque temps s’adonne intensément à la prière.

En entrelaçant différents sujets dans une même histoire (les amitiés indéfectibles, les délires enfantins, les conflits familiaux, les premières amours, le poids de la religion...) Laïla Marrakchi réussit avec bonheur à éviter toute caricature. Les parents de Rita sont bien loin d’être des musulmans intégristes et si l’histoire d’amour de leur fille avec Youri n’est pas tout à fait pour leur plaire, c’est plus parce qu’elle la détourne de l’échéance du bac qu’à cause de la confession du jeune homme. Si Mao se tourne vers la religion, ce qui lui vaut les railleries de sa sœur (« tu t’es cru en Algérie ou quoi ? Tu vas devenir barbu ! Et tu t’es trompé de direction, La Mecque c’est de l’autre côté »), c’est parce que, roulant trop vite au volant de sa puissante voiture, il a tué un jeune garçon.
La religion sert ici tantôt de cadre culturel, synonyme de joie, comme autour des préparations culinaires des fêtes de Ramadan, tantôt de couverture à une culpabilité trop dure à vivre. Laïla Marrakchi ne fait pas un film contre les dogmes religieux, mais utilise la pratique religieuse de la famille de Rita pour dénoncer une hypocrisie ; Mao attend une rédemption, tandis que les parents font le ramadan « pour la forme ».

En fait, Laïla Marrakchi a tourné Marock comme on élabore un album de souvenirs ; elle aussi a grandi dans le quartier huppé d’Anfa, à Casablanca. Aujourd’hui arrivée à la trentaine et en possession des moyens de réaliser ce qu’elle veut (ce film), elle agit comme si elle voulait rendre hommage à l’énergie de ses vingt ans. Marock ne va pas dans la direction d’une nouvelle recherche cinématographique, c’est là sa limite ; il reste avant tout un divertissement, d’autant que l’aspect « Roméo et Juliette » n’est pas poussé à son paroxysme. Que le couple soit « mixte » n’apporte rien au scénario. La volonté première de la réalisatrice est bien de mettre en scène une certaine nostalgie ; cela donne nécessairement lieu à quelques clichés, mais rattrapés par un humour permanent, véhiculé notamment par Morjana Alaoui, la jeune comédienne qui donne vie à Rita, d’une fraîcheur revigorante, ou encore par Rachid Benhaissan, qui joue Driss, le meilleur ami homosexuel.

Chacun pourra se reconnaître dans cette période d’incertitude post-baccalauréat, dans ce passage vers la vie d’adulte, porté par des personnages qu’on a tous croisés dans sa vie. Morjana Alaoui possède cette spontanéité qui fait tout passer, y compris les maladresses du scénario (on sait assez vite comment l’histoire va se terminer) pour incarner une jeune fille des plus charmantes à qui l’on pourrait tout passer.
Devant ce portrait de jeunes gens en pleine insouciance, on reste un peu perplexe. Laïla Marrakchi voit juste, elle réussit à nous faire sourire, mais ne voit pas très loin. De plus, les émotions du film restent souvent tièdes ; dans certaines scènes, les approximations du jeu des acteurs prennent le pas sur les sensations. La façon dont est filmé l’amour entre Rita et Youri nous laisse pantois. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils passent leur temps à s’embrasser, mais les sentiments ne crèvent pas l’écran. Les scènes d’intimité féminine sont plus réussies ; la scène où les trois amies se retrouvent à la plage, l’une charriant Rita sur son nouvel amoureux, l’autre annonçant son mariage arrangé sonne plus juste que les scènes entre Youri et Rita.

Une scène, vers la fin du film, réussit néanmoins ce moment magique au cinéma où l’émotion se dégage au point d’absorber le spectateur. C’est la scène de réconciliation entre Rita et son grand frère, seuls sur la grande terrasse de leur maison. Avant que la jeune fille ne s’abandonne dans les bras de Mao, il engage une lutte tendre et ferme pour réussir à l’attirer contre son cœur et à lui faire lâcher prise. Sans trop qu’on sache expliquer pourquoi, il se passe entre les deux acteurs, à ce moment précis, une alchimie par laquelle ils atteignent une vérité qui nous touche en plein cœur.

Extrait de Critikat

Commentaires de Abdelahk Najib - La Gazette du Maroc
Marock, de Leila Marrakchi, est un film très audacieux sur un microcosme que personne n’a jamais pu traiter. Beaucoup de maîtrise de ses outils, une confiance en soi à juste titre et surtout une volonté certaine de faire du cinéma et non pas du n’importe quoi. Ce qui en dérange plus d’un et crée une tempête dans un verre d’eau.
L’audace des uns fait peur aux autres. C’est en somme cela ce qui s’est passé à Tanger autour du film Marock de Leila Marrakchi, jeune réalisatrice marocaine qui a un certain talent et qui compte bien le donner à voir malgré les mauvaises langues, les jaloux, les mauvais perdants, les limités, les cancres du faisage cinémateux et d’autres bras cassés qui ont une sainte crainte de l’intelligence.
C’est qu’en fait le film de Leila Marrakchi est un véritable choc pour toutes les âmes sensibles qui refusent de voir la réalité même grossie par le prisme d’un immense écran dans une salle de cinéma. Ce sont ceux-là, les faux-puritains qui ont crié au scandale en taxant ce film, somme toute, sans vulgarité aucune ni provocation gratuite, de film fasciste. Cette plongée dans le monde clos et inconnu d’une certaine catégorie sociale marocaine en a effrayé plus d’un, non que la jeune réalisatrice ait inventé une réalité inexistante, mais juste parce qu’elle l’a fait avec courage et surtout beaucoup de maîtrise.
Elle a traité d’un sujet dur à mettre en image, un sujet inédit, une thématique ancrée dans l’actualité d’une société multicéphale. Et le rendement est bon, sans fioritures, et c’est là les grands débuts d’une réalisatrice qui promet d’autres coups de force.
Une jeune “musulmane a une aventure sexuelle avec un juif”. Quelle bassesse ! Comme si cela ne devait pas avoir lieu et pire encore comme si cela ne correspondait pas à la réalité. Combien de musulmans ont couché avec des non musulmanes et vice-versa ? Cette ségrégation sexuelle revêt des aspects dangereux quand elle est sous-tendue par des arguments, soi-disant, idéologiques.
La haine raciale apparaît là dans toute sa splendeur et tous les mensonges sur la tolérance d’une certaine tranche de “l’intelligentsia” marocaine se révèlent sans ce filtre hypocrite et machiavélique à double tranchant. Mais ce qui a aussi grandement participé à ce lynchage systématisé est le fait que Leila Marrakchi soit une femme. Une femme qui en jette et qui fait pâlir de jalousie tant de mâles en manque de repères et surtout incapables de faire des films acceptables.
Comme quoi, les grands défenseurs des grandes thèses sur la grande démocratie de la grande exception marocaine se muent très vite en grands inquisiteurs quand les intérêts sont en jeu et que le terrain commence à être balisé pour voir d’autres gabarits prendre siège à leurs côtés pour très vite leur faire de l’ombre.
Dans le tas, il y a une autre catégorie de hâbleurs, ceux qui disent : “si c’était moi, le réalisateur, je l’aurai fait comme ça ou comme ci”. Mais pourquoi, au lieu de parler dans l’air, monsieur le réalisateur aigri, vous ne l’avez pas fait ? Pourquoi vous n’avez pas pensé au sujet avant cette jeune femme qui vous a damé le pion et qui vous a donné, à tous, une belle leçon de cinéma, de courage et de maîtrise de soi, malgré les injustices, les insultes et l’intimidation.


Laila Marakchi