Les cinémas du Maghreb : entre identité et énonciation
Plusieurs décennies durant –des années 30 aux années 50 en gros- les pays du Maghreb, alors sous domination coloniale, n’ont fait office que de décor orientalisé où la géographie (désert, palmiers et casbah) avait pour fonction de dérouler un chapelet de situations convenues et d’intrigues renvoyant à une vision folkloriste des cultures locales pour mieux accentuer les travers d’un exotisme triomphant.
Ainsi, rien d’étonnant si, au lendemain des indépendances –1957 pour la Tunisie et le Maroc, 1962 pour l’Algérie- la posture idéologique des premiers cinéastes maghrébins consistera à « désorientaliser » le regard porté par « l’autre » sur leurs sociétés et leur Histoire.
Dès lors, les premières œuvres authentiquement maghrébines vont révéler à la face du monde une sociologie,une culture et une organisation sociale qui tranchent radicalement avec la vision travestie du colonisateur, au point de faire émerger une revendication identitaire qui va accompagner l’ensemble des créations maghrébines à venir.
L’autre caractéristique, aussi logique que la précédente, consiste à valoriser le processus de libération nationale, plus marqué en Algérie –guerre oblige- qu’au Maroc ou en Tunisie dont la situation politique –l’institution du protectorat français- a ménagé et atténué une entreprise d’assimilation qui a préservé le corps social traditionnel, maintenant par exemple les médersas, l’Islam et l’usage de la langue arabe. Ce sont d’ailleurs ces circonstances historiques qui ont déterminé les différences de contenus et d’évolution des cinémas tunisiens et marocains par rapport au cinéma algérien.
Quand la Tunisie exalte sa lutte de libération avec un film emblématique « El Fajr » (L’aube) du vétéran Omar Khlifi, quand le Maroc écorche tradition et obscurantisme sur fond de travers colonialistes ambiants (« El Chergui » de Moumen Smihi), l’Algérie, elle, glorifie, avec parfois un certain manichéisme (« Patrouille à l’est » de Amar Laskri) la guerre de libération.
Celle-ci retrouvera un certain élan humaniste avec « Le vent des Aurès » de Mohamed Lakhdar Hamina (1967) et une profondeur historique et politique avec la Palme d’or du Festival de Cannes 1975 : « Chronique des années de braise » du même Lakhdar Hamina.
Mais si la proximité des guerres exerce sa dictature, ce qui va surtout émerger dans ces pays de non tradition cinématographique, c’est un cinéma de chronique sociale, au détriment d’un cinéma de genre vu comme un référent extérieur aux réalités nationales prégnantes … et urgentes !
Ainsi , Nouri Bouzid, en Tunisie, (« L’Homme de cendres », « Bezness », « Les Tunisiennes », « Making of ») s’affirme comme un scrutateur privilégié des travers d’une société enfermée dans la dichotomie Tradition/Modernité.
De même, il trouve une résonnance au fort cousinage chez le marocain Nabil Ayouch (« Ali Zaoua »- 2001) et l’algérien Merzak Allouache (« Omar Gatlato » -1976 et « Bab El Oued city » -1993).
En un demi-siècle, les cinémas du Maghreb ont développé une certaine singularité qui tient autant à l’exploration du réel qu’à l’interrogation récurrente sur l’identité de ses peuples.
Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si l’Algérie des années 90 a vu émerger une production cinématographique qui a exprimé fortement les soubassements berbères de la société algérienne contemporaine (« Machaho » de Belkacem Hadjadj – 1996, ou le remarquable « La montagne de Baya » -1997 du regretté Azzedine Meddour).
Après avoir exploré les thèmes de la libération nationale, de la terre, de l’urbanité, de la jeunesse, des mutations sociales et économiques, de l’islamisme et ses déviances, entre autres, c’est malgré tout la question de la femme et de son émancipation dans un univers social marqué par la domination de l’homme qui a largement imprégné le champ des problématiques sociétales.
Cette tendance amorcée par des hommes (Mohamed Bouamari, Slim Riad, Sid Ali Mazif, en Algéire, Hamid Benani, Mohamed Abderrahman Tazi, Jilali Ferhati au Maroc, Abdelatif Ben Amar, Mahmoud Ben Mahmoud, Ferid Boughedir en Tunisie, est désormais fortement relayée par une puis deux générations de femmes.
C’est d’abord la romancière Assia Djebbar (« La Nouba des femmes du Mont Chenoua » -1978) suivie par Djamila Sahraoui (« Barakat » - 2004), Yamina Bachir-Chouikh (« Rachida » -2003), Zeïna Koudil (« Les démons de minuit » -1996) qui creuse le sillon en Algérie.
En Tunisie, les cinéastes femmes sont légion : Néjia Ben Mabrouk, Moufida Tlatli, Selma Baccar, et plus récemment la prometteuse Raja Amari (« Satin rouge »).
Au Maroc, Farida Beliazid, à la fois scénariste et réalisatrice, a fait des émules avec Leïla Marrakchi.
Vu globalement, la production maghrébine est de qualité. Chaque jour, de nouveaux talents émergent des deux côtés de la Méditerranée. On peut citer Djamel Bensalah, Rachid Bouchareb, Tariq Teguia, Nadir Moknèche, Abdelatif Kechiche, LyèsSalem ou Nassim Amaouche, entre autres.
On peut citer également des cinéastes français originaires du Maghreb, tel que Philippe Faucon, Dominique Cabrera ou Alexandre Arcady.
Cette énumération non exhaustive indique combien le cinéma maghrébin ou franco-maghrébin regorge de talents auxquels il faut ajouter une formidable pépinière de comédiens.
Mais ce dont patissent surtout ces cinémas du Maghreb c’est leur absence de visibilité faute de diffusion en salle ou à la télévision.
« Le Maghreb des films » s’est, d’ailleurs, fixé pour tâche de le sortir de ses boîtes et d’un anonymat qu’il ne mérite guère.
Mouloud Mimoun