Autre titre Hijab el hob
Année 2008 / 109’
Image Denis Gravoreil
Son et Musique P.F. Mendez
Montage Pierre Goupillon
Production 2M (Soread), Arts Films Productions, Centre Cinématographique Marocain (CCM), Films de Cléopâtre (Les)
Distribution Arts Films Productions, 65 rue de la participation - Roches noires Casablanca.
Avec Mansour Badri, Hayet Belhalloufi, Aziz Hattab, Saâdia Ladib, Younès Megri, Amina Rachid, Houda Sedki
Commentaires de Marion Pasquier
Lorsqu’il est sorti au Maroc en 2008, Amours voilées, premier film d’Aziz Salmy, a déclenché des polémiques et a été menacé d’interdiction. Sans avoir vu le film (comme cela a récemment été le cas avec Hors la loi, de Rachid Bouchareb), ses détracteurs ont crié au blasphème, à la provocation. Si le cinéaste explique avoir voulu dénoncer une certaine hypocrisie de la société marocaine, qui n’hésiterait pas à transgresser les principes qu’elle défend, on s’étonne, à voir le film, de la virulence des attaques dont il a été l’objet.
Batoul est une jolie femme de 28 ans. Médecin apprécié, financièrement à l’aise, entourée d’amis, elle semble moderne, indépendante et épanouie. Elle rencontre un jour Hamza, divorcé et père, et une idylle heureuse commence entre eux. Pour Batoul, l’amour signifie le mariage, la fondation d’une famille. Hamza, lui, n’a aucune envie de s’engager. L’attachement que Batoul porte aux traditions, jusqu’à présent assez discret, devient alors de plus en plus évident et source de tensions dans le couple.
On entre dans Amours voilées avec méfiance : les acteurs sont beaux, les personnages presque tous sympathiques, les plans sont léchés, le montage est classique... nous pourrions bien avoir là un téléfilm sans grande profondeur. Le film a été un beau succès en salles (notamment auprès des femmes), ce qui n’a rien d’étonnant tant il est facile à suivre : les personnages sont bien dépeints, le rythme est bon, le récit évolue linéairement sans temps morts. A la simplicité de la forme répond une thématique complexe, celle du délicat équilibre à trouver entre la tradition et la modernité. Aziz Salmy ne se prononce pas à cet égard, il pose le problème en le nuançant et laisse le spectateur réfléchir par lui-même.
Pas de manichéisme ici. Si la famille de Batoul est attachée à des principes moraux et religieux, elle n’étouffe pas la jeune femme. Et si Batoul insiste pour se marier avec Hamza, elle n’en transgresse pas moins des interdits. Elle n’opte pas pour la facilité du mariage conventionnel que lui propose un homme dévoué à l’Islam et sincèrement attaché à elle, elle fait le choix plus courageux d’épouser celui qu’elle aime. L’ampleur de son problème réside dans cet écartèlement entre deux ordres de valeur, la liberté de décider de sa vie et le respect des contraintes imposées par la société. Batoul est entourée d’une ribambelle d’amies dont les propos résonnent avec l’histoire principale. Tout en étant modernes, ces femmes ressentent, chacune à leur façon, le poids de leur inscription dans la société marocaine.
Le sujet d’Amours voilées est traité avec des nuances, le film ne véhicule aucun discours radical pouvant expliquer les tollés qu’il a soulevés (la fin, notamment, est intelligemment inconclusive, elle laisse les personnages se débrouiller avec leurs conflits et évite de les figer dans un sens définitif). Si l’on regrette le classicisme de sa forme, Aziz Salmy propose de façon honorable un tableau de la part de la société marocaine qui se cherche.
Extrait de Critikat
A propos…
Le film Amours voilées provoque la colère des islamistes au Maroc. En cause : une histoire mêlant sentiments et religion. Autrement dit : comment sexe et voile peuvent faire bon ménage ? Explosif.
Aziz Salmy ne pensait pas provoquer une telle levée de boucliers. Pour le réalisateur marocain, son premier long métrage ne devait raconter que les histoires d’amour de la jeunesse de son pays. Là où sexe et voile font bon ménage.
Mais depuis que le film est sorti début février sur les écrans marocains, les islamistes ont lancé des appels au boycott et à son interdiction. Pour eux, il nuit à l’image de l’islam. Le député Abdelbari Zemzmi a même déposé une motion au parlement pour retirer le visa d’exploitation du film. Pour cet islamiste influent, Amours voilées souille la religion. Il ne supporte pas que des filles voilées fument le narguilé, se déshabillent, enlèvent leur voile en public, fassent l’amour...
Interview de Aziz Salmy par Sid Ahmed Hammouche.
Que voit-on dans « Amours voilées » et où est le problème ?
Ah mon Dieu ! On voit de belles choses et de belles filles même si elles sont voilées. Mon film dérange parce qu’on peut voir la réalité telle qu’elle est. On a l’habitude de rencontrer des femmes voilées et sexy dans les rues de Casablanca.
Je grossis la chose. Je montre que le voile cache une véritable caverne d’Ali Baba. Et c’est cela qui fait peur. Le cinéma nous renvoie notre image. Pour certains, c’est insupportable. Et pour eux, une femme qui a des relations sexuelles sans être mariée est une prostituée.
Pourtant vous ne racontez qu’une histoire d’amour…
Elle aurait pu passer comme une lettre à la poste, s’il n’y avait pas le voile. Mon film a pourtant pour ambition de lever le voile sur la frange des trentenaires qui ont réussi socialement. Elles restent tiraillées entre leur ambition professionnelle et la tentation d’une vie familiale bien rangée. Comme Batoul, l’héroïne du film, qui se laisse prendre dans le tourbillon de l’amour, se donnant pour la première fois à un homme au mépris des conventions sociales.
Mais il leur manque, dans leur émancipation, une chose essentielle : un homme.
Exactement. Mes actrices s’assument très mal et elles souffrent de ne pas pouvoir fréquenter librement les hommes. Et comme elles ont une trentaine d’années, elles pensent qu’elles doivent bouger et traverser leur désert sexuel. Surtout qu’elles ont sacrifié leur vie amoureuse pour faire des études et réussir dans un monde de machos. Elles se rendent compte qu’elles sont indépendantes et refusent que le choix de leur partenaire soit imposé par la famille. Certaines protagonistes optent pour le foulard pour attirer les prétendants. Et ça marche, les hommes tombent comme des mouches dans le voile alors qu’il cache bien des mystères.
Porter le voile est devenu une mode. Les filles le portent comme un accessoire de mode. D’autres pour draguer, certaines par conviction religieuse. Aujourd’hui, les boutiques islamiques fleurissent et proposent une panoplie de foulards. Moulants, fuschia, bleu ciel, griffés Bulgari, Dior. Autant dire que c’est complètement hypocrite de s’offusquer que j’utilise des actrices voilées dans mon film. Ce bout de tissu n’est le symbole de rien. Or l’habit ne fait pas le moine et le foulard ne fait pas la bonne musulmane. Je connais beaucoup de Marocaines qui se drapent de foulard et qui cachent mille et un flirts. Ce n’est pas un crime, c’est juste la vie.
Comment marche votre film ?
Les chiffres de fréquentation sont excellents. C’est presque les Ch’tis du Maroc. J’ai de la chance. Huit bobines circulent dans le pays. Généralement, ce ne sont que deux, voire quatre. C’est difficile d’exercer le septième art au Maroc. De 300 salles de cinéma, le pays est passé à 90 écrans avec un public rare.