Année : 2005
Durée : 96’
Scénario : Nacer Khemir
Montage : Isabelle Rathery
Musique : Armand Amar
Image : Mahmoud Kalari
Costumes : Maud Perl
Production : Les Films du Requin, Behnegar, Pegasos Film and Hannibal Film in co-production with Inforg Studio an
Distribution : Gebeka Films
Avec : Parviz Shahinkhou, Maryam Hamid, Nessim Khaloul
« Le désert est à la fois un champ littéraire et un champ d’abstraction. C’est un des rares lieux où se réunissent à la fois l’infiniment petit, un grain de sable, et l’infiniment grand, des milliards de grains de sable, le désert.(...) Dans chaque mot arabe qu’on prononce, il y a un peu de sable qui suinte. »
N. Khemir
CRITIQUE
Bab’Aziz et sa petite fille Ishtar cheminent de dune en dune. Ils savent où ils vont – à la grande réunion des derviches. Mais ni l’un ni l’autre ne connaissent l’itinéraire à suivre. En effet, la voie qui conduit à la fête est avant tout un cheminement intérieur.
Le film de Nacer Khemir est une quête. Comme dans un conte, ce que les personnages vont trouver au bout du chemin a moins d’importance que le trajet lui-même. Car la route est parsemée de récits et de personnages qui éclairent chacun à leur manière un petit bout du mystère. Et ce mystère, c’est l’islam, une spiritualité que le réalisateur a voulu représenter sous sa forme soufi. Une religion fondée sur l’amour, où règne l’échange et non la violence, où l’accomplissement est avant tout intérieur. Une sagesse qui traverse le film de part en part. Les personnages se rencontrent, se quittent et se retrouvent pour mieux figurer un cycle basé sur la transmission. Ishtar écoute les histoires de son grand-père, les habits de derviches reviennent à celui qui a suffisamment regardé en lui-même pour trouver la paix intérieure. Et surtout, la musique et la poésie sont les fils conducteurs privilégiés, liens entre les personnages et substance du récit.
Le désert renvoie à l’origine même de la langue arabe, des mots sublimés par la poésie du Moyen-Age et chantés par les personnages. Source de vie, la musique provoque la rencontre, elle permet au corps de s’exprimer, comme dans cette scène presque irréelle où Ishtar et son grand-père dansent devant des musiciens rencontrés au milieu du désert. En miroir à l’oralité traditionnelle, l’image est elle aussi poésie. Si Nacer Khemir aime la parole, il sait que sa force est dans sa capacité à évoquer des formes, des couleurs et du son. Les étendues de sables, paysages de solitude où l’homme est face à lui-même, sont le décor privilégié de ces histoires qui se superposent pour mieux trouver leur signification les unes par rapport aux autres.
Peut-être le personnage d’Ishtar est-il le seul à ne rien chercher d’autre que cette réunion de derviches, cet abandon total dans la fête comme peut le désirer un enfant. La petite fille est dans cet entre-deux, un désir encore naïf de plénitude associé à une gravité d’adulte lorsqu’elle écoute les récits de tous ceux qui recherchent l’amour, réel ou symbolique. Bien loin de l’enfance ou des désirs des hommes, le vieillard Bab Aziz veut retrouver dans son dernier voyage la connaissance originelle de l’univers. Une sagesse absolue qui n’appartient décidément pas au monde physique.
Julie Pétignat, Clap Noir