Année : 2014
Durée : 85’
Scénario : Daniel Kupferstein
Production : Les Ateliers du Réel
Le 14 juillet 1953, au moment où la manifestation parisienne se disperse, la police tire sur un cortège de nationalistes algériens causant 7 morts et plus de 60 blessés. Face au parti communiste, organisateur de la manifestation, qui dénonce cette tuerie, les autorités invoquent la légitime défense. Les victimes, six Algériens et un Français, seront vite oubliées et les familles n’obtiendront jamais réparation, ni en Algérie, ni en France.
En articulant les explications d’historiens avec celles de nombreux protagonistes, le film s’attache à rétablir la vérité et rendre justice aux victimes. Interrogés sur les lieux du drame, place de la Nation, des témoins français et algériens, dont plusieurs ont été blessés par balles, rappellent leur panique devant le déchaînement de la violence policière. De leur côté, deux anciens policiers reconnaissent qu’ils ont fait feu sur une foule désarmée puis, sur ordre, fait disparaître les preuves (plus de 200 douilles). En Algérie où les morts furent vite rapatriés, les obsèques se déroulèrent sous haute surveillance. Assemblés devant leurs tombes, les proches rendent honneur à ces martyrs auxquels l’Algérie indépendante a dénié le titre glorieux de "moujahid" (combattant). L’amertume est encore plus grande à Paris dans la famille du militant communiste abattu par la police : elle n’a rien obtenu de la justice et s’est sentie peu à peu oubliée, même des camarades.
Entretien avec Daniel Kupferstein, propos recueillis par Gérard Delteil
Qu’est-ce qui t’a amené à travailler sur ce sujet ?
J’avais déjà réalisé un film sur Charonne et un autre sur le 17 octobre. À l’occasion d’un débat suivant une projection, l’historienne Danielle Tartakowsky m’a dit « Tu devrais faire un film sur le 14 juillet 1953 ». Sur le moment, j’ai répondu que je ne voulais pas devenir le spécialiste des massacres parisiens. Ensuite, j’ai réfléchi et je me suis dit que les gens qui avaient vécu ces événements devaient avoir dans les 75 ou 80 ans, donc que les témoins risquaient de disparaître prochainement. Cela a été le déclic.
Comment as-tu procédé ?
J’ai utilisé le livre 1953, un 14 juillet sanglant de Maurice Rajsfus (Ed Agnès Vienot, 2003), malheureusement épuisé aujourd’hui. Puis j’ai consulté les archives, recherché des témoins, que j’ai trouvés, certains par relations, d’autres par Internet. J’ai même passé une annonce dans le journal algérien El Watan, ce qui m’a permis de contacter des manifestants et les parents de victimes qu’on voit dans le film.
Pourquoi ce drame a-t-il été occulté ?
Les causes de cet oubli sont diverses. D’une part, comme je le souligne dans le film, pour que la mémoire soit transmise, il faut qu’il y ait des gens pour s’en emparer, ce qui s’est fait presque immédiatement pour Charonne car les victimes appartenaient au PCF qui était un très grand parti, et beaucoup plus tardivement, à la fin des années 80, pour le 17 octobre. En ce qui concerne le 14 juillet 1953, d’une part il s’agissait d’une manifestation du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques dirigé par Messali Hadj) qui a ensuite scissionné. Le FLN qui en est issu et a déclenché la lutte armée à la Toussaint 1954 n’accorde aucune importance à ces événements qui se sont déroulés avant cette insurrection. Cela peut paraître délirant, mais les victimes du 14 juillet 1953 n’ont pas officiellement le statut de martyrs. Elles sont mortes trop tôt. Ensuite, en France, le PCF et la CGT ont dénoncé le massacre sur le coup, mais celui-ci a très vite été occulté dans le mouvement ouvrier par la grande grève des fonctionnaires d’août 1953. Dernière explication, selon Danièle Tartakowsky qui apparaît dans le film, avec l’éviction d’André Marty, le parti serait passé d’une ligne « classe contre classe » à une ligne plus centrée sur des alliances. Alors commémorer ces morts n’était plus à l’ordre du jour.
Qu’est-ce qui explique la violence des policiers qui ont tiré dans le tas, comme le reconnaît de façon assez stupéfiante un de ceux que tu as retrouvés ?
Ils ont en effet la bonne conscience de fonctionnaires qui n’ont fait que leur boulot. Les Algériens avaient à leurs yeux le statut de sous-hommes. Les tuer n’avait pas la même signification que d’assassiner des Français. Ils n’ont pas supporté que les militants algériens défilent avec un service d’ordre impressionnant, refusent de se laisser arracher leurs drapeaux et banderoles. À leurs yeux, il était inconcevable que des colonisés relèvent la tête, ne rasent pas les murs. Les deux flics qui témoignent dans le film n’éprouvent pas la moindre culpabilité. Alors que pour Charonne, tous les policiers se sont défilés : peut-être étaient-ils beaucoup plus mal à l’aise d’avoir massacré des Français ?
Quel rôle a joué ce massacre dans la conscience des Algériens ?
Il a probablement été un des éléments en faveur de la lutte armée. « Même quand on manifeste pacifiquement un jour symbolique de l’égalité, la liberté et la fraternité, on nous tire dessus, alors autant mourir en combattant »...