Portrait d’une rue d’Alger
Année : 2011
Durée : 77’
Scénario : Djamil Beloucif
Montage : Ali Umut Ergin, Pierre Agoutin
Producteur délégué : ADA Films Production
Distributeur : VraiVrai Films : florent@vraivrai-films.fr
Contact : ADA Films Production : Tel : +41 22 301.81.72 / contact@ada-films.com
Avec : Mehdi Gacem “Paco“, Nacim Khedouci, Abdelghani Raoui, Karim Moussaoui, Nassim Rekab “Schlomo“, Ismail Khelfa, Redouane Belmouloud, Djellouli, Soumaya “Fahla“ , Yacine Zitouni, Fahim Ouadour
Bîr d’eau, appellation « arabisée » de Burdeau, était le nom de la célèbre rue montante à Alger. Il y a là des enfants intrigués par la caméra, un homme âgé qui se plaint de la bureaucratie liée au passeport biométrique, un urbaniste qui critique la célèbre anarchie architecturale à Alger, un jeune qui veut partir pour trouver le bonheur ailleurs, des gens qui évoquent le suicide, un fille en hidjab qui s’interroge sur l’intérêt de capter les images, un chômeur qui promet de prendre une seconde bière caché derrière un mur, des voisins qui ironisent sur le pet et la paix…
Conversation autour de : "Bîr d’eau", a walkmovie-(Portrait d’une rue d’Alger) par Habiba Djahnine
Il suffit de poser une caméra pour modifier tous les rapports. Tout nous modifie. Le jeu ne s’arrête jamais. Dans ce cas, ce qui m’a intéressé c’est le rapport avec une caméra, le cinéma, l’image... tout cela dans une rue que j’affectionne beaucoup.
Que fait un élément dans un lieu ? Quel effet a-t-il ? Quelles modifications entraîne t’il ? En réalité, j’aurais pu poser n’importe quoi, cela aurait eu de l’effet.
Le réel ? Il n’y en a pas au cinéma. Le réel est toujours ce que l’on voit au présent que cela soit un chien, un homme ou un journal ..., et là, il n’y a rien à faire, la vie se présente à nous et on la capte ou pas lorsqu’on filme, mais une
fois captée, ce que l’on voit à l’écran n’est plus le réel mais une représentation du réel, une image.
Juste une petite remarque, tu dis « une fiction » par contre tu dis « le réel », il y a dans ce « Le » quelque chose qui sonne juste à mon oreille.
Oui, on interroge « le réel » et on capte une de ses représentations.
J’ai voulu explorer la question des regards qui questionnent le regard. Les gens du lieu face à une caméra étrange, étrangère mais aussi questionner le regard des futurs spectateurs qui le verraient, sommés de se fabriquer un sujet et de lui donner sa forme car je n’y ai mis ni histoire, ni sujet à proprement parler, même si certains ont vu la caméra comme un sujet ; mais réellement, j’ai voulu m’éloigner de tout ça. Mon but : essayer quelque chose, tenter un coup. Je crois que pour ce type de film, un sujet ne pouvait que nuire à la qualité de ce
que l’on voit ; c’est en gros un état des lieux vu par moi en 2010. Ce film a valeur de témoignage, comme disait Barthes : « ça a été » et même si ce n’est pas stricto sensu un documentaire, c’est déjà un document et comme tout document on en fait ce que l’on veut. Pousser tout le registre documentaire à son maximum et soudain, sitôt qu’on me voit (en général après le film si je le présente) tout s’écroule et l’on se dit : quelle partie est jouée ? Quelle partie est « réelle » ? Toutes les images se mettent à faire douter. C’était le but pour dire qu’un documentaire est une tromperie et qu’il y a toujours une supercherie
qu’il faut démasquer pour bien voir un doc. Il y a toujours un point de vue, « image fausse ». En faisant de la caméra un œil et en la rendant muette, le but des prises de vue a été de faire éclore par une absence de réponses de la
caméra une correspondance de « la langue et l’œil » chez les filmés, qui disent ce que la caméra est. C’est l’une des idées fortes du film, celle de filmer l’autre en faisant en sorte que le spectateur arrive à voir celui qui filme pour créer un effet miroir qui s’exprimerait chez le spectateur par des réactions du type : « Qui
filme là ? ». Qui filme est essentiel.
Quant à la rue, elle a été, au début, mon fil conducteur qui me permettait de filmer le bâtiment-pont. Par la suite, j’y ai vu là des histoires d’êtres humains plus forts que leurs « logements ». J’ai habité cette rue 25 ans et je pense la
connaître un peu comme lorsqu’on est familier d’une personne, j’ai alors voulu la présenter, en faire le portrait. Les rues changent comme les personnes et on ne présente pas ses amis n’importe comment. Ici, par exemple, je voulais qu’on la descende, et non qu’on la monte. J’y ai vu à tort ou à raison une pénibilité à la monter. Je voulais que ma présentation coule, qu’elle « prenne le sens de l’eau » au sens propre et figuré. Au sens propre parce que j’ai suivi l’ancien lit d’un cours d’eau, et au figuré pour donner une certaine fluidité au film. cette rue est un concentré d’Alger, une partie qui dit un tout, notamment concernant les nombreuses lignes de cassures spatiales et temporelles qu’Alger connaît. Au cours de mes nombreuses déambulations dans ce quartier, j’ai maintes fois été absorbé par cette rue à la fois étrange, angoissante et si riche par ces appels à la flânerie et du plus loin que je me souvienne, chacun de mes passages révéla quelque chose de magique de l’ordre du palpable, du saisissable. Petit à petit je me suis essayé à comprendre ce qui se passait là et cherchais ce qui provoquait mon attachement à ce lieu.
Je crois qu’il y a une volonté dans ton approche d’interroger, ce qu’on voit sans regarder, ce qui nous fabrique sans qu’on y prenne garde ... je parle bien sûr de l’espace construit de la « ville », j’aime bien tes interrogations sur l’architecture.
Ce film est un film à la base sur l’architecture et l’urbanisme. Historiquement, le bâtiment-pont du Telemly est l’un des derniers projets réalisés de la France
coloniale, d’autres projets devaient voir le jour et devaient s’étendre au-delà du pont vers le sud. Or, chacun sait, qu’à la période coloniale les algériens ne vivaient pas à Alger, ils étaient installés en périphérie dans de grands ensembles ou des bidonvilles ; à l’indépendance, le tissu colonial se vit revenir à la population algérienne aisée et la question ségrégative prit une forme économique selon l’expression d’Alain Medam, « les dominants ont juste changé de têtes ». A la rue Burdeau c’est limpide, béant.
Le haut Burdeau campagnard, traditionnel, brut et le bas Burdeau citadin et moderne jusqu’à son extrémité : la rue Didouche Mourad (artère principale de la ville) ; le haut et le bas m’offraient deux thèses qui étaient délimitées par le bâtiment-pont du Telemly, aussi appelé « pont des suicidés ». Tu sais, le pire dans les grands ensembles, c’est que les concepteurs avaient pensé qu’ils ne
vieilliraient pas et c’est vrai, ils ne vieillissent pas, c’est ça le drame. L’enfer sur terre : c’est de ne pas changer. C’est le genre de projets qui ne vieillissent pas et que l’on connaît partout, jamais ils ne sont devenus ce qu’on prédestinait et ce, malgré tous les efforts.