Titre original : Ya Man Aach
Année : 2012
Durée : 71’
Scénario : Hinde Boujemaa
Son : Yassine Akremi, Abderraouf Jelassi, Houssem Ksouri, Chokri Marzouki
Image : Slwar Ben Hassine, Mehdi Bouhlel, Hatem Nechi
Montage : Imen Abdelbari, Naima Bachiri, Mehdi Barsaoui
Production : Cinétéléfilms, Nomadis Images
Avec : Aida Kaabi
Une révolution, c’est un moment unique dans une vie, où le pays que vous avez connu, change du jour au lendemain. Les visages et les endroits vous sautent aux yeux comme si vous ne les aviez jamais vus.
Lorsque j’ai rencontré Aida, aux environs du 14 janvier, j’étais comme beaucoup dans l’euphorie du moment, animée par le sentiment de vouloir raconter ma Tunisie malgré tous les questionnements et les incertitudes que je vivais à chaque instant.
A chaque heure, j’étais à l’affut d’une nouvelle. Un président qui part, des snipers qui abattent les gens, un parti unique qui résiste, des manifestants qui rattrapent les années perdues de paroles confisquée, des grévistes de la faim… et une population oscillant entre l’ivresse de la liberté et la gueule de bois de la peur et de l’incertitude.
Le 20 janvier, j’aperçois Aida dans la rue. Quelque chose dans son regard et ses paroles m’attire. Elle n’est pas comme les autres, car elle n’a pas l’air préoccupée par la révolution, elle se faufile près des manifestations sans y prêter attention. Je l’aborde. Directement sans aucune gêne, elle me raconte sa vie : deux de ses enfants donnés à un orphelinat, son divorce, ses larcins. J’ai en face de moi une personne qui n’a plus rien à perdre, sur qui la vie s’est acharnée et qui demande à la révolution de lui ouvrir les portes d’une nouvelle vie.
En effet, c’est un moment inespéré pour elle de trouver un toit car chaque trois mois Aida change de maison. Logements insalubres, lugubres qu’elle quitte, flanquée d’un de ses enfants Faouzi souffrant d’un léger handicap mental, parce qu’elle ne paie plus le loyer. Elle se met en quête d’un appartement inoccupé, appartenant à un étranger décédé (juif, livournais, italien) pour le squatter.
Aida voit dans cette révolution l’occasion inespérée de révolutionner sa vie. Cette femme, combattante et effrontée profite du presque chaos social pour défoncer les portes se heurtant aux voisins et à des surprises souvent pas très heureuses.
Aida est à l’image de tous les tunisiens et de Tunis… pleine d’espoir, avec une soif de changement sans savoir quelle direction prendre. Pas de certitudes. Juste des questions. Les nouvelles continuent à tomber, création de partis, organisation d’une nouvelle vie politique. Tout le monde aspire à la justice. Aida tout comme Tunis. Hinde Boujemaa
Entretien réalisé par Nicolas Gilson
Le titre de votre film, C’ETAIT MIEUX DEMAIN, contient à la fois une grande dimension poétique et une lourde fatalité.
Il résume les choses par hiérarchie : par rapport à la vie de cette femme, par rapport à tous les tunisiens, par rapport à la politique et par rapport un fait, la révolution, avant et après. Je n’avais pas cherché de titre quand j’ai commencé l’aventure. Il y avait un côté tellement éprouvant. Je n’y ai pas pensé. Je pensais à avancer avec elle et je ne pensais plus à rien – ni à une esthétique de l’image. Il y a un moment où tu es tellement dépassé par ce que tu vis au quotidien et par la violence de certaines choses. Le titre est venu, je pense, au bout d’un an. Parce que je vivais avec elle et parallèlement je vivais les islamistes au pouvoir, la rue qui était entrain de changer. Tu découvres une Tunisie qui était cachée – les régimes dictatoriaux, ils cachent. Je me demande si chez ces dictateurs qui sont fous, il n’y a pas la volonté de vouloir faire de leur peuple des gens tous pareils. Ce sont des évènements très forts, durant un an, qui secouent et qui mettent les gens à l’épreuve. Toutes sortes de choses apparaissent, l’islamisme entre autres qui nous a sauté dessus – mais ça, c’est une autre paire de manches et ça a été récupéré. Quand un dictateur part, après 50 ans avec deux dictateurs et un régime policier, au moment où il part il y a un espoir, un sentiment de joie et ensuite il y a la peur, le vide. Quand un pays et son système ne sont pas démocratique, les gens ne savent pas se débrouiller seuls. En terme d’émotion, tu te retrouves dans un truc assez perdu et tu découvres qu’il n’y a pas de structure. Il faut tout reconstruire et tu rêves. Avec Ben Ali on ne rêvait plus à rien, les gens vivait dans la peur. Ensuite il y a eu le moment de rêve où je ne trouvais pas de titre parce que c’était un moment de rêve et de découverte de l’autre, et d’accepter les gens qui sont différents. Et maintenant que cela fait un an que les islamistes sont au pouvoir, tu es à nouveau dans la peur car il sont économiquement incapables – le pays est en train de sombrer et les gens ne mangent plus. Il y a plein de choses inquiétantes mais de l’autre côté il y a des cinéastes qui commencent à dénoncer.
Comment avez-vous rencontré la protagoniste du film ?
Dans la rue. Lors du départ du Président, à un moment, dans la rue, je crois que tout le monde s’adressait la parole comme s’ils se connaissent depuis 50 ans. Au début, j’ai commencé à suivre quelques personnes, je ne savais pas bien où j’allais, je n’avais pas l’intention de faire un documentaire. Je filmais « en archives » les manifestations, les réactions des gens, tout ce que je pouvais rencontrer. Mais je pense que, elle, en 10 minutes je savais. Elle condense toutes les inégalités, toutes les injustices. - Tout. Tout ce qui peut arriver : tout ce qui est contre les droits de l’homme, la violence dans la police, l’injustice (parce que tu te fais jeter en prison pour drogue, prostitution et vol alors qu’il n’y a rien), la misère, le système social qui n’existe pas,… Je pense qu’elle ne laisse rien. En Europe, de manière générale, on a peur du pathos. Quand j’ai regardé mon film, je me suis dit que si c’était une fiction j’étais dans tout ce que l’on pourrait me jeter au visage. Mais elle a une telle force qu’elle a ôté chez moi tout ce qui pouvait être considéré comme pathétique parce que la réalité de sa vie et de sa souffrance est beaucoup plus forte. Elle se bat tout le temps et elle n’hésite pas à s’exprimer avec véhémence. - Ça peut être agressif par rapport à l’Europe parce qu’on ne parle pas en hurlant mais en Tunisie tout le monde hurle. C’est un aspect culturel de la manière de s’exprimer. A un moment, elle se retrouve face à un mur et elle se fait renvoyer. Là, c’était des flics qui ont refusé que je les filme – c’est pour ça que je suis resté constamment dans son axe à elle. Et là – je crois que la caméra l’a aidée – elle hurle vraiment.
Les discussions avec sa mère contiennent énormément de choses notamment que la cellule familiale dans laquelle elle a grandit, à l’image de la société, n’a pas rempli son rôle. Elle se retrouve sans armes dans un combat dont elle ne comprend pas les règles.
Absolument. Et en plus de ça, j’ai filmé beaucoup plus de choses et j’ai respecté le fait qu’elle ne voulait pas que je le montre.
Tout le monde la condamne par rapport à sa position de femme.
C’est ça. Et par rapport aux préjugés et à la mentalité. Dans les textes, les femmes s’en sortent très bien. Elle a été en prison parce qu’elle boit, parce qu’elle a été chopée deux fois pompette. Elle prend 2 mois parce qu’elle a une cuite dans la rue. Mais les mecs c’est pareil. La loi est là… Après on n’est pas dans un Etat de droit : tu ne peux te fier à rien puisque les lois ne sont pas appliquée. C’est très grave car il y a des lois rétrogrades.
Festivals
2014 : Visions du réel - Nyon (Suisse) - Sélection Focus Tunisie
2013 : FIFF-Festival International de Films de Femmes - Créteil (France) - Compétition
2012 : Viennale - Vienna International Film Festival - Vienne (Autriche) - Sélection