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Chevaux de Dieu (Les)

Synopsis

Yachine, 10 ans, vit avec sa famille dans le bidonville de Sidi Moumen à Casablanca. Sa mère, Yemma, dirige comme elle peut toute la famille. Un père dépressif, un frère à l’armée, un autre presque autiste et un troisième, Hamid, 13 ans, petit caïd du quartier et protecteur de Yachine.
Puis Hamid se retrouve en prison, Yachine enchaîne alors les petits boulots pour sortir de ce marasme où règnent violence, misère et drogue. A sa sortie de prison, Hamid a changé. Devenu islamiste radical pendant son incarcération il persuade Yachine et ses amis de rejoindre leurs "frères".
L’Imam Abou Zoubeir, chef spirituel, entame alors avec eux une longue préparation physique et mentale. Un jour, il leur annonce qu’ils ont été choisis pour devenir des martyrs.

Ce film est librement inspiré des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca.

Thèmes : Société maghrebine , Islamisme

Réalisateur(s) : Ayouch, Nabil

Pays de production : Maroc

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Année 2013 / 115’

Distributeur Stone Angels

Avec Rachid Abdelhakim, Rachid Abdelilah, Hamza Souidek ...

Commentaires de Marion Pasquier
À Un Certain Regard, du Maroc nous est parvenu Les Chevaux de Dieu, de Nabil Ayouch qui, après son premier long, Mektoub (1998), s’est fait connaître avec Ali Zaoua en 2000, et à qui l’on doit tant le film Pathé Whatever Lola Wants (2008) qu’un documentaire pertinent à la sortie confidentielle en 2012, My Land.

Les Chevaux de Dieu raconte l’histoire de deux frères, Yachine et Hamid (l’aîné, meneur et protecteur), construisant comme ils peuvent leur vie dans le bidonville où ils sont nés et qu’ils n’ont jamais quitté, Sidi Moumen, à Casablanca. Un jour, ils deviennent Chevaux de Dieu, kamikazes au service du Jihad, et commettent les attentats qui eurent lieu à Casablanca le 16 mai 2003. Avec son film, impulsé par cet événement et nourri par le livre Les Étoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine, Nabil Ayouch entend montrer un parcours possible menant au terrorisme.

Pour ce faire, dans un premier temps il nous immerge dans le quotidien des deux frères à Sidi Moumen. Si la peinture de la misère est sans surprise et parfois trop appuyée, la dimension chronique est assez réussie. Le bidonville existe par sa composante géographique, sociologique et humaine. Yachine et Hamid (interprétés, comme les autres personnages, par des non professionnels habitants de Sidi Moumen) sont les fils conducteurs qui nous font rencontrer des lieux, des gens (la mère qui supporte, le père grabataire, un autre frère à moitié fou, les copains avec qui se partagent galères comme parties de foot, la femme aimée par Yachine qu’il ne peut épouser en raison de sa pauvreté) et la vie sordide et violente de laquelle ils sont prisonniers. La mise en scène est dynamique et élégante (on regrettera toutefois les plans un peu trop grandiloquents où la caméra s’envole et balaie tout l’espace) : caméra mobile, proximité des personnages, situations mouvementées et multiples... nous immergent efficacement dans les vies qui sont racontées.

Pour subsister, Yachine et Hamid enchaînent les travaux ingrats et les petits trafics. Jusqu’au jour où Hamid est emprisonné et revient, deux ans plus tard, acquis à la cause islamiste. Dans laquelle son frère se laisse entraîner lui aussi, et qui les mène tous deux à se faire exploser dans un restaurant de Casablanca. Le cinéaste a la finesse de ne pas insister sur les discours des radicaux – dont on connaît trop bien les représentations souvent stéréotypées. La conversion de Hamid reste en ellipse et elle n’en est que plus marquante. Ce qui compte c’est de voir, au présent, comment se comporte le groupe islamiste, comment il amène les nouvelles recrues à commettre l’acte le plus radical qui soit. Comment l’on passe d’un enfermement (la pauvreté) à un autre (l’idéologie), d’une famille (les habitants du bidonville) à une autre (les intégristes). On ne sent pas ici la démonstration qui grevait complètement le film de Philippe Faucon, La Désintégration, au sujet similaire.

La mise en scène prend en charge l’expression du changement de ton de cette seconde partie. L’approche est plus distante, plus froide, le cadre s’élargit, on parle moins, tout se teinte de gravité, et c’est ainsi que le mécanisme en route nous est donné. Nabil Ayouch a conçu et tourné Les Chevaux de Dieu plusieurs années après les événements de 2003 qui l’ont inspiré. On sent dans son regard une distance, un recul, bienvenus, qui font parfois défaut à certains films tournés immédiatement après une actualité brûlante et qui, portés par l’urgence, manifestent trop ostensiblement la volonté de dire et/ou d’expliquer (ce qu’on a pu reprocher à Après la bataille de Yousri Nasrallah, présenté en compétition officielle cette année). À cet égard, le film de Nabil Ayouch fait apparaître un certain apaisement, une certaine sagesse ou justesse du regard.

L’habileté dont fait preuve le cinéaste pour construire et filmer son histoire est l’une des forces des Chevaux de Dieu mais elle est aussi sa limite. Car tout nous semble trop sage. Le récit, morcelé en diverses périodes, depuis la jeunesse des deux frères à leur suicide meurtrier, emprunte un chemin attendu. Nous savons où l’on va, nous ne sommes pas surpris. Si Nabil Ayouch a l’intelligence de ne pas vouloir démontrer, ce qui sous entendrait une notion de Destin inéluctable (comment l’on passe du bidonville à l’acte kamikaze, comment les bourreaux sont aussi des victimes), son film s’en tient au constat et donne l’impression de dérouler un programme, alors que l’on aurait envie d’être davantage malmené, de ne pas être aussi passif. Nous entraînant dans son univers sans effort, Les Chevaux de Dieu nous procure la jouissance de l’immersion. Mais nous prive par là-même de l’interpellation, de l’effort d’interprétation, que nous aimerions devoir accomplir devant une telle histoire. La complexité et l’ambiguïté, le trouble, font défaut et on le regrette. Les Chevaux de Dieu est un beau film, un beau récit. Mais on aurait aimé plus d’audace, plus de risques.

Marion Pasquier