Année 2008 / 73’
Scénario Amel Amani, William Karel, Sarah Saada
Montage Sophie Mardonnet
Production Istiqlal Films
Distributeur Pyramide Distribution. Contact : Roxane Arnold Tel : 01 42 96 01 10. programmation@pyramidefilms.com
Avec Sabrina Ben Abdallah, Ariane Jacquot, Zohra Mouffok, plus
Commentaires de Arnaud Hée
Après La Trahison, film d’hommes terriblement mais subtilement humain, Philippe Faucon fait honneur aux femmes en questionnant les méandres de l’identité juive et musulmane, entre une culture, un passé et un présent qui unissent et séparent. Le cinéaste prend ici le parti d’une cocasserie au service du regard d’un humaniste inquiet qui n’oublie pas d’être porté par l’espoir de la possibilité d’une entente entre communautés. Si ce projet, plus modeste que le précédent, n’atteint pas la puissance du précédent, il reste tout à fait remarquable.
Sélima (Sabrina Ben Abdallah), trentenaire musulmane au style de vie laïque, est infirmière à domicile. Dans la scène d’ouverture, l’origine communautaire s’apparente à un facteur de séparation : « Je n’aime pas les gens comme vous » s’entend-elle dire. Elle va travailler chez Esther (Ariane Jacquot), une vieille dame juive handicapée caractérielle.
En l’apprenant, Halima (Zohra Mouffok), sa mère, lui dit : « Je n’aime pas ces gens-là. » Où est-on ? Au Proche-Orient ? Non, dans le sud-est de la France où vivent de nombreux rapatriés et immigrés d’Algérie, juifs séfarades et Arabes musulmans.
L’idée d’un tel sujet est venu de la spectaculaire crispation des communautés en France, celles-ci s’identifiant aux belligérants d’un conflit lointain rendu très proche. Prenant acte de ce climat délétère, notamment de l’impact du conflit israélo-palestinien sur les Maghrébins français, Philippe Faucon s’est lancé dans l’écriture du scénario, pour l’essentiel en 2003, avec sa compagne Yasmina Nini-Faucon pour l’idée de départ, puis avec Amel Amani, William Karel et Sarah Saada. Le contexte du film n’est plus celui de 2003, mais de l’été 2006, c’est-à-dire au plus fort des opérations militaires de Tsahal au Liban, suite à l’enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah. La situation géopolitique est ici largement soulignée par un arrière-fond sonore télévisuel ou radiophonique.
Le point de départ du film est donc l’abîme qui sépare les communautés, les deux vieilles femmes, Halima et Esther, ont construit une représentation imaginaire de l’autre, une projection faussée aboutissant à un rejet réciproque. Le présent sépare donc, provoque l’exclusion voire la haine. Les enfants, Sélima et Élie, le fils d’Esther, ont un rapport davantage dépassionné et distancié vis-à-vis de la communauté, tout en y appartenant sans ambiguïté. Alors qu’Halima et Esther ont commencé à s’apprécier, Élie, médecin, doit partir pour un mois. La vieille juive atrabilaire ira chez la musulmane. Si la cohabitation n’est pas simple (une violente dispute, malaise devant les infos), ce territoire devient de moins en moins étranger. Philippe Faucon a l’intelligence de faire largement passer cette communauté culturelle entre les deux femmes par des choses qui sont de l’ordre de la sensation : le son de la musique orientale, le goût de la cuisine casher/hallal, l’abandon et la nudité des corps au hammam. Autant de sensations passées qui démontrent que c’est l’oubli qui désunit et sépare, cette même idée qui structurait récemment La Visite de la fanfare d’Eran Kolirin.
En mettant en présence des femmes d’une soixantaine d’années, Philippe Faucon parvient donc à livrer un film très sensuel. Même si celui-ci passe par le langage, c’est dans le silence, la présence des corps et le rapport très fort avec les visages que sont captées les voix intérieures et les résurgences du passé des personnages. Il faut aussi mentionner Ali (Hocine Nini), mari de Halima, présence masculine peu causante mais très parlante des tiraillements identitaires.
Comme souvent, le cinéaste a fait appel à des comédiens non professionnels, mais la nouveauté constitue ici l’âge de ceux-ci. Pour l’anecdote, Zohra Mouffok (Halima), qui ne sait pas lire, a mémorisé son texte avec sa fille. Une scène est d’ailleurs tournée lors d’un cours d’alphabétisation. Philippe Faucon interprète Élie et il est étonnant de constater combien son jeu discret et intériorisé ressemble à son cinéma. Sa présence a sans doute contribué également à créer un climat rassurant pour ses interprètes inexpérimentés.
Et le résultat est là, ces derniers font preuve d’un sens de la nuance et d’une grande créativité, sans oublier une fantaisie nécessaire au ton comique adopté par Dans la vie. À partir de ce terrain fertile, la caméra se met tranquillement aux aguets pour créer la possibilité d’une entente qui ressemble malheureusement à une tendre utopie. Mais le réel ne l’est-il pas parfois ? Les deux actrices principales se sont rapidement aperçues qu’elles étaient originaires de deux quartiers limitrophes d’Oran en Algérie. Leur entente fut excellente…
Extrait de Critikat