Titre original : Maqha al-sayyadeen
Titre en anglais : The Fishermen’s Break
Année : 2007
Durée : 23’
Scénario : Al Hadi Ulad Mohand
Montage : Benoît Alric
Son : Arnaud Julien
Mixage : Eric Tisserand
Production : Production La Vie est Belle Films Associés et Zilis Films
Avec : Hamid Boukili, Mohamed Aderdour, Tarek Ben’Alam, Jamal Nouman,Laurent Grévill, Mahmoud El Faylali
Au début des années 80, la ville d’Azilah était une sorte de paradis pour ses pêcheurs. A quelques centaines de mètres de chez moi, se trouvait une plage, où mes camarades et moi avions l’habitude de nous retrouver. Nous y passions tout notre temps libre, à jouer au football, à pêcher de petits crabes, à arracher les moules des rochers... puis nous allumions un feu, placions notre pêche dans une boîte en zinc que la mer avait rejetée, et mangions... A la fin de la journée,quand on tardait à rentrer, nos parents venaient directement nous chercher.
Les saisons se sont succédées et je ne voyais pas le temps passer.
Cette plage était dotée d’un port naturel ; à droite (le Moon) une ligne de rochers qui cachait l’horizon, en perpendiculaire (CHAKKA) une autre ligne coupée par deux énormes rochers que les Espagnols utilisaient comme un chemin de fer. Les pêcheurs pouvaient sortir en mer sans difficulté. Tous les habitants, à la fin de la journée, attendaient leur retour pour leur acheter le poisson. Tout le monde pouvait alors s’en offrir.
Il n’y avait pas de marché aux poissons. Tout se faisait sur place ou juste en face du port, à une cinquantaine de mètres, au café des pêcheurs, où l’on pouvait vendre, négocier ou offrir tout en fumant un joint ou une pipe de kif, et en buvant un thé. Le CAFE DES PECHEURS était aussi un lieu où les pêcheurs se retrouvaient pour raconter leur journée de pêche, leurs aventures, tout en gardant un œil sur leurs barques qui flottaient.
La vie à Azilah me semblait belle. Mais un jour, je vis débarquer d’énormes machines sur cette plage, et j’appris qu’une société Roumaine de travaux publics avait été désignée pour construire un port. Le maire en avait décidé ainsi, apparemment au profit des pêcheurs de cette ville qui n’avaient rien demandé.
J’ai alors vu les espaces où l’on pêchait et jouait au football, disparaître peu à peu sous du béton, jusqu’à ce que je ne reconnaisse plus cette plage.
Un jour de printemps, content et heureux d’avoir un ballon de football que mon frère m’avait ramené des Pays-Bas, je pris la direction de la plage, accompagné d’une dizaine de camarades, pour faire un match. A notre grande surprise, un soldat apparut pendant que nous jouions, il sortit un couteau de sa poche, s’empara du ballon et le creva sous nos yeux. Plus tard on apprit que c’était le gardien du port. Depuis ce jour là, je ne suis jamais retourné jouer là-bas.
Au bout de quelques années, les Roumains sont partis en laissant le port à moitié achevé. Depuis ce moment, l’entrée du port a été baptisée "le cimetière" par les habitants de la ville.
A cette époque j’habitais encore à Azilah. Un jour, au retour du collège, j’aperçus un attroupement vers l’entrée du port. Je m’approchais : une barque ne parvenait pas à regagner le port, empêché par d’énormes vagues. Je regardais la foule impassible qui assistait à cette lutte contre la mort. Et puis dans le silence, une vague avala la petite barque.
Plus tard, la mer a jeté, l’un après l’autre, le corps des trois pêcheurs, sur la plage. Depuis ce temps, je n’ai pas cessé de ressasser ces images et j’ai eu alors l’envie d’en faire un film.
Il y a un an, je suis retourné à Azilah pendant l’hiver. Je regardais ce port qui s’apparente plus à un décor inutile qu’à un port véritable. Et je me suis souvenu de mon père, l’été, quand vers midi, il venait nous chercher, mes sœurs et moi, pour aller nous baigner. Notre famille était alors heureuse. A 14h, mon père avait déjà pris sa douche et était prêt pour repartir à son travail. Aujourd’hui, il est devenu impossible de vivre un moment semblable. La plage est loin, nous devons utiliser un moyen de transport pour ne pas perdre notre journée à marcher jusqu’à la plage.
J’ai compris alors pourquoi j’éprouvais avec une infinie tristesse la défiguration de ce port : c’est comme si tout ce béton avait effacé mes souvenirs et mon enfance. Lorsque j’ai vu cette barque se faire avaler par la vague et cette belle plage rejetant des cadavres de pêcheurs, j’ai voulu faire quelque chose. Certes, j’aurais souhaité rendre cette plage, d’une baguette magique, comme elle l’avait toujours été. Mais comme c’est impossible, c’est un film qu’il me semble important de faire, un film qui pourra peut-être me libérer de la nostalgie de l’enfance, et saluer ces pêcheurs qui, depuis le Café des pêcheurs, passent les hivers à contempler leurs barques amarrées dans ce qui est devenu un parking, et attendent le printemps pour survivre.
Festivals
Festival de cinéma Vues d’Afrique de Montréal (Canada, 2008)
Festival du film francophone de Vienne (Autriche, 2008)
Regards sur le cinéma du sud (Rouen, 2008)
Festival de Contis (2007)
"Leopards de demain" (Locarno, Suisse, 2007)
L’Avis de château (Château Chinon, 2007)
Festival de court métrage méditérannéen (Tanger, Maroc, 2007)
Pris de Courts (Paris, 2007)
Festival du court-métrage d’Altkirch (2007)