Année 2014 / 126’
Image Pierre Cottereau
Son Pierre André, Gwennolé Le Borgne et Marc Doisne
Montage Florence Ricard
Production Isabelle Madelaine - Dharamsala
Coproduction L’AARC (Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel)
Yacine Laloui - Laith Media
Distributeur Haut et Court
Avec Lyes Salem, Khaled Lakhdar Benaissa, Djemel BAREK
Dans toutes les guerres où une armée régulière se confronte à une résistance entrée en clandestinité, ses membres adoptent un nom d’emprunt ; L’Oranais c’est le nom de guerre du personnage principal, DJAFFAR, celui par qui l’histoire se raconte.
L’Oranais c’est également l’histoire d’un homme dont la ville natale est Oran.
Une ville où l’identité est multiple, cosmopolite. Tout au long de l’histoire, des
hommes d’origines diverses ; Maltais, Grecs, Italiens, Arabes, Berbères, Français,
Juifs et Espagnols ont vécu ensemble à Oran. On peut passer du quartier arabe
« sidi el Houari » au quartier juif « derb el Lihoud » en traversant une rue. Dans
le centre-ville, c’est davantage l’architecture Art Déco du début du XXe siècle qui
rappelle la présence française.
Si aujourd’hui le quartier espagnol n’existe plus,
la trompette et la guitare sont les instruments incontournables d’une musique
très présente dans la personnalité festive de la ville qui est aussi une des
dimensions du film... La chapelle de Santa Cruz, sa Vierge Marie qui domine la
baie d’Oran, illustrent parfaitement le paradoxe de cette ville, habitée en grande
majorité par une population musulmane ! L’Oranais c’est tout ça en même temps
BioFilmographie
Lyes Salem est né en juillet 1973. Comédien de formation, Lyes réalise son premier court métrage en 2001, Jean Farès.
Avec cousine en 2005, il remporte de nombreux prix internationaux et le César du Meilleur Court Métrage. En 2008 il réalise Mascarades qui représente l’Algérie aux Oscar et est nommé aux César du Meilleur Court Premier Film en 2009. L’Oranais est son second Long Métrage
Sortie en France le 19 novembre 2014
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Galerie de photos
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Lisez et téléchargez l’inteview de Lyes Salem dans Médiapart (9/12/2014)
Interview de Lyes Salem diffusé dans El Watan le 7/09/2014
Pourquoi avez-vous choisi la période post-indépendance en Algérie pour situer votre histoire dans L’Oranais ?
C’est une période qu’on ne connaît pas. J’avais besoin d’imaginer, de rêver, envie de voir ce pays fier d’avoir fait quelque chose d’incroyable. L’indépendance de l’Algérie a été ressentie de cette manière dans le monde. Cela a été un déclencheur pour beaucoup de pays. La France s’est installée de génération en génération en Algérie, cinquième puissance mondiale, une armée organisée, et ce pays, par les armes, s’en est libéré. J’avais envie de voir ces hommes dans les années 1960 fiers de ce qu’ils avaient fait, d’hériter de la liberté, de rêver. J’ai suivi donc ce groupe d’amis après l’indépendance, dans leurs rapports (Djaffar, Hamid et Farid). Un groupe qui va exploser. En toute modestie, je peux dire qu’il y a une démarche d’historien dans ce film. Pour répondre à certaines questions actuelles, il faut revenir au passé.
- Justement, avez-vous trouvé des réponses ?
Non ! Je me pose toujours des questions, mais je n’ai pas de réponses. Si j’avais des réponses, j’aurais fait de la politique. C’est une histoire d’hommes, ça ne se règle pas comme ça. C’est fait de sentiments, de choses imbriquées, de nœuds. Il faudra du temps, de la lucidité et du courage. Nous devons avoir la lucidité pour avancer.
- Vous tentez donc, dans L’Oranais, de reconstituer la mémoire…
Oui, c’est une tentative de me réapproprier cette mémoire et de m’interroger. Il y a des choses que j’ai vécues au sein de ma famille et dans le cercle amical de mes parents. Dans des discussions politiques, mon père n’était pas souvent d’accord avec son ami. Ce que je retiens de cela, c’est un fervent amour de ce pays, et une volonté forte d’essayer de le faire grandir du mieux possible.
- Sommes-nous, 52 ans après l’indépendance de l’Algérie, devant un constat d’échec ?
Si je réponds par oui, on va faire inévitablement des interprétations. Comment vous dire, j’ai mis sept ans pour faire venir mon frère en France pour qu’il passe des vacances. Je ne sais pas si l’on peut parler d’échec, mais il y a quelque chose qui ne va pas en Algérie. Il ne s’agit pas de remettre en question un combat. Ce pays est enfermé sur lui-même depuis la fin des années 1980. Hier, ils ont encore intercepté dix-sept harraga (à Annaba, ndlr). Donc, oui, il y a quelque chose qui ne va pas en Algérie. Ce n’est être ni anti-patriotique, ni être ‘‘hizb frança’’ que de le dire. C’est la vérité. Je préfère le dire pour essayer de faire changer les choses, que prétendre que tout va bien ! La question est donc : qu’est-ce qu’on a fait des cinquante ans d’indépendance ? Ce qui est sûr, c’est qu’il y a cinquante ans qui vont venir. Que va-t-on faire ? Peut-être qu’on fera mieux. C’est pour cela que le film L’Oranais est important pour nous.
- Jusqu’à maintenant, le cinéma algérien a toujours magnifié la guerre de Libération nationale. Pas de questionnements sur les héros et leurs rôles. Est-on arrivé à l’âge de s’interroger et de critiquer cette guerre ?
Encore une fois, ce n’est pas une question de critique. Il s’agit de questionnements. Je ne suis pas le cinéma algérien, mais un Algérien parmi d’autres. Je fais des films et je me pose des questions. Des questions adressées au spectateur algérien. A lui d’y répondre comme il veut. On doit accepter la diversité de penser en Algérie. La diversité culturelle aussi.
- Revenons au scénario. D’où a démarré l’idée de L’Oranais ?
Le scénario m’a été inspiré d’un livre que j’avais relu, Plein de vie (Full of life), paru en 1952. Un livre d’un auteur américain qui s’appelle John Fante. C’est l’histoire d’un oncle qui vit en Italie. C’est à partir de là que j’ai commencé à échafauder petit à petit le scénario. La première fois que j’ai pensé au film, ce n’est certainement pas L’Oranais. J’ai travaillé sur l’écriture pendant trois ans. Je me suis documenté, lu, rêvé. Les idées sont venues au fur et à mesure. Il faut se servir du monde autour de nous. C’est important.
- Vous avez dit lors du débat après la projection presse de votre film (samedi à la salle El Mougar à Alger) qu’en écrivant, vous pensiez déjà aux acteurs pour les rôles comme Khaled Benaïssa….
A un moment, je savais que j’allais jouer avec Khaled Benaïssa dans le film. Mais je ne savais pas qui devait interpréter les rôles de Hamid et celui de Djaffar. Après, les choses se sont précisées. Je me suis inspiré en partie du caractère de Khaled Benaïssa pour écrire le personnage de Hamid, surtout le côté festif, jovial et généreux. J’ai écrit aussi pour Djamel Barek (Saïd dans le film). Les autres comédiens ont été rencontrés lors des castings.
- Dans vos deux longs métrages, Mascarades (2008) et dans L’Oranais, vous êtes des deux côtés de la caméra. Vous êtes à l’aise dans ce mouvement ?
Eh bien, c’est comme ça que je fais les choses. J’ai une formation d’acteur, pas de réalisateur. Je suis « autodidacte ». Acteur est quelque chose que je ressens en permanence. Donc, quand j’écris, l’acteur est excité par des choses à jouer. Je me dis parfois : « c’est moi qui vais jouer ce rôle ». Cela fait partie du moteur qui stimule mon excitation à écrire. Lors du tournage, j’ai toujours envie d’être parmi les acteurs. Peut-être qu’un jour je ne jouerai plus dans mes films. Pour l’instant, j’ai un peu peur de ne pas pouvoir mener un film si je ne suis pas avec les acteurs dans l’arène. Au cinéma comme au théâtre, on saute dans l’arène. La part artistique qui est en moi est prise en charge par l’acteur. En tant que réalisateur, ma démarche est politique. Si l’Algérie se portait comme un charme et qu’il n’existait pas d’histoire compliquée entre l’Algérie et la France, je pense que je n’aurais pas fait de films. Je serais resté acteur. Je réalise parce que j’appartiens à deux cultures qui me composent. Je comprends ces deux cultures, je sais par où elles passent l’une et l’autre. J’essaie de leur donner des moyens pour mieux se comprendre et se respecter. L’histoire commune de l’Algérie et de la France doit devenir une force. Dans une scène, le personnage de Hamid dit à un journaliste français : « La Méditerranée est peu de chose entre les peuples algérien et français. Ce qui nous lie est bien plus important que ce qui peut nous séparer. » Cette citation est de Abdelaziz Bouteflika faite à Paris en 1975 lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Une déclaration juste.
- Votre film est très intérieur. Peu de scènes ont été filmés en extérieur. Est-ce pour souligner le caractère intime de l’histoire ?
C’est l’intimité de l’histoire, en effet. Et puis, je savais que je n’aurais pas les moyens financiers ou logistiques pour faire de la reconstitution historique. Pour être franc, je ne voulais pas en faire. Les films bâtis sur la reconstitution historique ne m’ont pas convaincu. La reconstitution peut peser trop lourd et empêcher d’autres aspects d’un film d’apparaître. Je voulais dès le départ filmer en Algérie. Un réalisateur doit être lucide sur ses moyens, faire avec ce qu’il a en main.
- Entre Mascarades et L’Oranais, vous avez complètement changé de registre…
J’avais envie d’être dans une histoire plus émouvante. Pour Mascarades, j’étais dans un cinéma qui m’a beaucoup marqué, la comédie italienne des années 1960 et 1970. Dans L’Oranais, je suis dans la fresque romanesque. Les fresques romanesques m’ont constitué en tant que spectateur comme Il était une fois en Amérique ou Le Parrain. J’aime ce genre de cinéma et je veux apporter ma petite pierre à cela (…). Cela dit, aucun producteur ne m’a imposé quoi que ce soit, mis à part quelques réactions constructives sur le scénario. Personne ne m’a dit dans le film : « on veut ça, ou on ne veut pas de ça ». Cela est très clair dès le départ.
- La musique voyage dans votre film. Il y a Abdelhalim Hafez, Jimmy Sommerfield, Younes Migri, le raï, Amazigh Kateb…
C’est l’identité. Dans les cabarets, on interprète les chansons de Blond Blond. Hafez est là parce que l’identité arabe compose ce pays aussi, mais ça ne s’arrête pas là. J’aime la phrase de Kamel Daoud qui dit : « L’arabité m’appartient, mais je n’appartiens pas à l’arabité ». L’identité algérienne est très vaste. Plus nous acceptons notre diversité, plus nous serons forts
- La personnage de Bachir, l’enfant illégitime que Djaffar doit élever, n’est-il pas là pour souligner l’existence de certains rapports humains au-delà du colonialisme ?
Djaffar lui a dit la vérité en lui rendant sa mémoire. Il l’accepte. Un colonisateur, quel qu’il soit, ne peut pas disparaître du jour au lendemain. Ce n’est pas possible. Entretenir la mémoire ne veut pas dire remettre en cause l’indépendance. Au contraire. A Alger et à Oran, on reprend depuis quelque temps les immeubles. C’est bien, car il serait dommage de laisser tomber ces constructions. Ces bâtisses font partie de notre patrimoine. Il faut les entretenir. Nous devons maintenir en vie La Casbah. C’est notre histoire. Le personnage de Bachir est là pour souligner le fait qu’il ne sert rien de cacher, de faire de lui ce qu’il n’est pas. L’identité n’est pas sur un visage. Elle est à l’intérieur, ce qu’on est, ce qu’on porte.
Qu’en était-il des conditions de tournage à Oran ?
J’ai beaucoup aimé la ville d’Oran. Une ville pas facile, insaisissable. Une ville qui m’a ouvert les bras, mais qui a été plus réservée lorsqu’il fallait entamer le tournage. J’ai eu beaucoup de mal à trouver des décors, des maisons. Les gens ne voulaient pas qu’on filme chez eux. C’était compliqué. Mais le tournage s’est bien déroulé globalement. Nous avons refait le bar L’Armador, qui au temps de la colonisation s’appelait « Les champs Elysées », racheté par une Espagnole après l’indépendance et repris par des Algériens qui en ont fait un restaurant-cabaret. L’établissement est fermé depuis au moins quinze ans.
Lors du Festival de Cannes, en mai 2014, vous avez quelque peu protesté contre la non-sélection de votre film...
J’ai parlé au téléphone à un journaliste ami qui a repris mes propos. Mais, au fait, je n’ai pas protesté. Je n’ai pas à me mettre en colère contre le comité de sélection du Festival de Cannes. Il fait son choix comme il veut. Il ne me doit rien, je ne lui dois rien. Après, j’ai mon idée. J’ai l’impression que lorsqu’il sélectionne un film, et ce n’est pas un jugement de valeur sur ces productions, il doit faire partie d’une seule catégorie. C’est-à-dire des films qui doivent traiter de sujets précis : terrorisme, islamisme, les femmes et les harraga. En dehors de ces sujets, les festivals de série « A » ne sont pas intéressés que par les films qui viennent de chez nous. Ce n’est pas un reproche que je leur fait, mais je prends note.
La sortie de L’Oranais est prévue pour quand en Algérie ?
On va tout faire pour sortir le film entre la fin septembre et le début octobre 2014 en Algérie. On va commencer par Oran. Comme pour
Mascarades, je ferai une tournée nationale avec L’Oranais, du moins dans les wilayas où on aura de bonnes conditions de projection.
Le film sort en Algérie avant la France. J’insiste sur ce point. Cela dit, il faut que le public aille dans les salles voir les films, même si les salles ne sont pas en bon état. Il est vrai qu’il faut proposer des films de qualité. Un spectateur algérien n’aura pas à rougir de la qualité technique de L’Oranais. Que l’histoire plaise ou pas, chacun aura sa propre appréciation.
Fayçal Métaoui
ENTRE ESPOIR ET DESILLUSION « L’ORANAIS » DE LYES SALEM RACONTE AVEC AUDACE ET TALENT LE PARCOURS D’UNE GENERATION.
Mouloud Mimoun.
Aucun film algérien à ce jour n’a eu l’audace et le courage d’embrasser trente ans de l’histoire politique de l’Algérie contemporaine.
Certes l’histoire du passé a été largement traitée, parfois avec talent (La Bataille d’Alger, Chronique des années de braise), parfois avec une propension à glorifier la révolution armée (Patrouille à l’est, L’Opium et le bâton).
Dans le 7ème art, ce qui fait en général les grandes œuvres, c’est lorsque le récit emprunte à la fresque dans laquelle les destins individuels entrent en dialectique avec la grande Histoire. Citons, entre autres, « Autant en emporte le vent », « Guerre et Paix », ou encore « Les Damnés », « Le Guépard » du grand Visconti. Mais celui duquel se rapproche le plus « L’Oranais », qui sort sur les écrans français en ce mois de novembre, c’est certainement le « Nous nous sommes tant aimés » où Ettore Scola raconte aussi trente ans de l’histoire de l’Italie à travers l’amitié entre trois personnages qui, bien sûr, auront bien changé et muté sur la durée…
« L’Oranais » n’est que le second long métrage de Lyes Salem, surtout estampillé acteur. Il y incarne le rôle principal, celui de Djaffar, comme il l’avait déjà fait dans « Mascarades », son premier, comédie de mœurs récompensée du Grand prix du Festival francophone d’Angoulême en 2008.
Pour « L’Oranais », il a reçu cette année un autre prix, celui du Meilleur comédien auquel aurait pu prétendre également Khaled Benaïssa pour sa prestation du personnage de Hamid. Car ce film, dont l’avant première algérienne a eu lieu dans la capitale le 6 septembre dernier, c’est d’abord une belle histoire d’amitié entre Djaffar et Hamid, laquelle va se diluer au fil du temps, rattrapée par les avatars de la société algérienne et du « système » qui va régenter et verrouiller le pays jusqu’aux émeutes populaires d’octobre 1988, lesquelles vont totalement modifier la face du paysage institutionnel.
Le récit démarre en 1957, lorsque les deux jeunes gens, pourtant insouciants et peu politisés, vont se trouver, à la faveur d’un drame involontaire, embarqués dans la spirale révolutionnaire qui va faire de Hamid un cadre du FLN et un futur ministre tandis que Djaffar l’oranais, dans les maquis de l’est, va devenir un héros national suite à de hauts faits d’armes.
Le scénario, d’une extrême densité et d’une grande richesse dramatique, développe une « progression » traitée sous forme de flash back qui génère un recul critique sur les évènements que vont subir les deux protagonistes. Un drame personnel va frapper douloureusement Djaffar, lequel, à son retour du maquis, découvre un fils, Bachir, blond aux yeux bleus, élevé par sa tante Halima (Amal Kateb). Depuis le départ au maquis, ses amis ont en effet dissimulé le secret entourant la mort de son épouse Yasmine. Les causes et les circonstances de cette disparition lui seront révélées sur le tard et affecteront les liens d’amitié avec Hamid, devenu un personnage politique en vue, et de plus en plus en phase avec un système où les espoirs et les aspirations de 1962 se sont dissous dans le mensonge et l’affairisme des années 80 sous le règne du président Chadli.
De son côté, Djaffar bénéficie d’une ascension sociale telle que le petit menuisier qu’il était se mue en chef d’une grande entreprise d’état où la bureaucratie pointe ses dérives. De fait, l’Algérie a plutôt choisi la bureaucratie française, plutôt que d’opter pour le génie hugolien.
De séquences en séquences et de scènes en scènes, on voit émerger une société nouvelle où l’argent, la concussion et l’omnipotence des services secrets enterrent les espoirs nés de l’indépendance, au point que l’amitié fusionnelle entre les deux héros va peu à peu se fissurer. Hamid occupe une belle villa « bien vacant », marié à une américaine qu’il a connue lorsqu’il était en poste pour le FLN à Washington. Un yacht va même lui échoir, cadeau d’un « ami » aux identités multiples, qui a vite compris qu’il vit dans un système de « donnant-donnant », lequel est devenu un mode de fonctionnement intrinsèque à la société algérienne.
Un ami, ex-maquisard, Farid (Najib Oudghiri), époux de Nawel (Sabrina Ouazani), va s’affronter à Hamid, car lui n’a pas renoncé aux espoirs nés de la révolution.
Une joute oratoire entre les deux amis met en cause l’arabo-islamisme du pouvoir, tandis qu’une scène humoristique à l’usine de Djaffar montre les dégâts et le ridicule générés par l’arabisation à outrance. De fait, cet « arabe importé », ainsi que ces enseignants venus du Moyen-orient ont contribué à déstabiliser le socle culturel sur lequel reposait harmonieusement le pays. Au lieu de promouvoir l’arabe national, celui qui fait la grandeur de la chanson chaabi, chère à Hadj M’Hamed El Anka, ou la poésie populaire –et sans parler de l’amazigh, réprimé parfois violemment- on s’est éloigné d’une identité reposant sur des soubassements berbères.
Le grand penseur Mostepha Lacheraf, alors Ministre de l’enseignement supérieur, démissionnera pour ces raisons avec éclat dans un article publié par El Moujahid et qui, à ce jour, garde toute sa pertinence.
L’autre dimension importante du film, c’est la manière subtile avec laquelle Lyes Salem aborde la relation « attraction-répulsion » qui caractérise les rapports entre la France et l’Algérie, d’autant que le cinéaste est de père algérien et de mère française (d’où le personnage du fils Bachir).
« Pour parler de l’un, explique Lyes Salem, on a besoin d’évoquer l’autre. C’est comme la France et l’Algérie qui ont vécu ensemble dans des conditions qui les ont poussées à une séparation violente. Mais cette séparation demeure impossible parce que les destins humains sont trop imbriqués. L’Histoire contemporaine de l’un renvoie forcément à l’autre ». Et le cinéaste de conclure : « en Algérie, la présence française est omniprésente dans la ville par l’architecture, tandis qu’en France, la structure politique de la 5ème république, a été pensée par De Gaulle pour régler la question algérienne ».
Par sa dimension historique très prégnante, par son analyse aussi fine que nuancée, « L’Oranais » classe désormais Lyes Salem parmi les cinéastes algériens les plus talentueux.
Extrait de ALGERPARIS n°6, novembre-décembre 2014