Année : 2017
Durée : 56’
Scénario : Arezki Metref, Marie-Joëlle Rupp
Image : Nara KeoKosal
Montage : Laure Budin
Production : SaNoSi Productions
Dans la longue saga de l’immigration algérienne, la place du café est loin d’être anecdotique. Elle est presque équivalente à celle de l’usine, de la mine ou des « habitats précaires », autrement dit les bidonvilles. C’est, comme le racontent les personnalités interrogées, le premier lieu vers lequel converge celui qui arrive du pays à partir du début du vingtième siècle. Très loin de chez soi, on cherche les gens de son village, les siens, ceux qui permettront l’adaptation, trouveront un emploi ou un logement. Souvent, l’endroit possède des chambres au-dessus de la salle. On s’y installe, on y dort, on y fait à manger. On parle du bled. On y donne ou on y reçoit des nouvelles. Promiscuité, certes mais aussi une autonomie…
Le café, donc. Si loin mais si proche de la Djemâa du village. L’endroit où des forces contradictoires s’affrontent. Les unes, conservatrices, appliquent la loi de la collectivité sur l’individu. Si l’on dérape, il est des voix fermes qui rappellent qu’une partie du salaire doit absolument et toujours être envoyée au pays. Les autres, moins contraignantes, ouvrent la voie au changement et à l’affranchissement. Au café, on boit, on joue aux dominos, à laronda espagnole ou à d’autres jeux de hasards. Dans un milieu exclusivement masculin, des artistes vont d’établissements en établissements et chantent les affres de l’exil ou plutôt el-ghorba, ce terme arabe qui dit à la fois le fait d’être loin de chez soi et d’être étranger. Et parmi ces chanteurs, il y a bien sûr l’incontournable Slimane Azem.
Mais le café, dans l’histoire de l’émigration algérienne, c’est aussi une guerre civile dans la guerre d’indépendance. Bagarres, mitraillages, attentats, exécutions : FLN contre MNA, groupes de choc contre messalistes. Contrôler le café, c’est avoir le pouvoir sur la communauté. C’est récolter les cotisations, c’est faire passer les mots d’ordre du Front. Comme le raconte l’un des témoins du documentaire, le visage inconnu qui franchit le seuil d’un café termine le plus souvent dans la cave. Descendre à la cave pour y être « interrogé » avec, parfois, une conclusion fatale. Cette cave utilisée aussi par les bleus de chauffe, autrement dit les commandos harkis, qui firent la guerre au FLN et à ses sympathisants dans les quartiers nord de Paris, Goutte d’or en tête.
Quelques années et une indépendance plus tard, les cafés devinrent un lieu d’affrontement entre l’Amicale des Algériens en Europe, pilotée par Alger, et l’opposition, notamment berbériste. C’était un temps où, même en France, distribuer des tracts contre le régime de Houari Boumediene ou de Chadli Bendjedid n’était pas exempt de risques. C’est donc toute cette histoire que le documentaire de Marie-Joëlle Rupp et Arezki Metref raconte. Une histoire qui continue. Si les cafés, y compris ceux possédés par des Kabyles, tendent à disparaître, des germes d’affrontements à venir entre Algériens existent. Il y eut les années 1990 qui virent une nouvelle diaspora trouver du réconfort en se retrouvant dans quelques zincs parisiens. Aujourd’hui, l’échec patent de l’Algérie engendre ébullition et surenchères identitaires. Cela n’est pas sans conséquence sur les diasporas. On sort ainsi du visionnage du documentaire avec le sentiment d’avoir appris beaucoup de choses sur l’histoire du pays mais aussi avec une pointe d’inquiétude, pour ne pas dire d’angoisse, quant à sa cohésion future.