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Hors la loi (Les)

Synopsis

En prison dans l’Algérie coloniale, peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, trois compagnons de cellule indigènes se font la belle.
Une fois libres, ils s’en prennent à l’autorité représentée par la triade du caïd, du gendarme et de l’administrateur. "Vivre la condition coloniale, confiait Tewfik Farès, c’est quelque chose ! Ce n’est pas disserter sociologiquement ou historiquement. C’est la vie. Et je pense que tout est là-dedans. [...] Pendant cent trente ans, on attend. On retient. On refoule. On espère. En même temps, à différentes occasions, il y a des escarmouches, des troubles."

Thèmes : Société coloniale

Réalisateur(s) : Farès, Tewfik

Pays de production : Algérie

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Année 1968 / 95’

Scénario Tewfik Farès

Image Rachid Merabtine

Montage Hélène Arnal

Musique George Moustaki

Production Splendor Films

Avec Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine, Mohamed Chouikh, Jacques Monod, Jean Bouis

Premier long-métrage de Tewfik Farès qui lorgne du côté des westerns hollywoodiens et premier film algérien en couleur, Les Hors-la-loi relate à sa façon la lutte menée depuis la montagne par des bandits d’honneur. Pour le cinéaste, "Hors-la-loi, ça veut dire hors de la loi coloniale. Mon intention profonde, précisera Tewfik Farès, était de montrer, en quelque sorte, des hommes qui avaient, à un degré ou à un autre, une conscience nationale... [...] En résumé, j’ai vu et je vois dans ces personnages des précurseurs avec cet aspect un petit peu légendaire".

"Traité à la manière d’un western, notait à son sujet feu Guy Hennebelle, ce film évoque l’existence de bandits bien-aimés dans les montagne de l’Aurès, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale... Sans en faire un "Rio Bravo", Tewfik Farès a su raconter son histoire avec un savoir-faire certain..."

Le commentaire de Benoît Smith - CritiKat

1968 : la France a peur, et pas seulement de la « chienlit » qui va secouer les pavés parisiens au printemps. Un passé lourd et encore frais la hante, le souvenir de l’horreur physique et morale dans laquelle elle a dû se retirer de « là-bas », de renoncer à une nouvelle parcelle de son emprise coloniale anachronique. À l’époque, et pour quelque temps encore, on appelle cela « les événements » d’Algérie, et en suggérer même une autre formulation est un tabou. Tourné deux ans plus tôt, la co-production italo-algérienne La Bataille d’Alger ne verra son visa d’exploitation délivré qu’en 1971, pour être aussitôt retirée des salles où elle restera invisible jusque dans les années 2000. Au même moment, « là-bas », chez les vainqueurs, c’est évidemment une autre histoire. On prend « les événements » avec moins de honte et de pusillanimité – mais aussi plus de désinvolture, parfois – et on n’hésite pas, comme dans ces Hors-la-Loi, à tâcher d’intégrer cette part d’histoire tourmentée dans la culture populaire. À l’instar de La Bataille d’Alger, Les Hors-la-Loi n’auront droit qu’à une sortie française en catimini en 1975, manquement réparé seulement aujourd’hui.

Les mémoires les plus agiles – et les esprits les plus chagrins – se rappelleront avoir vu le nom de Tewfik Farès il n’y a pas si longtemps : au générique de Home, le prospectus-diaporama creux à la morale facile de Yann Arthus-Bertrand, dont il avait co-écrit les commentaires. Mais l’homme, qui œuvre depuis une trentaine d’années pour la télévision française, a apporté un peu plus que ça au cinéma. Scénariste de formation, il a ainsi commencé sa carrière en participant, dans les années 1960-70, aux débuts du cinéma algérien indépendant et conscient de son difficile héritage, collaborant notamment avec le réalisateur Mohammed Lakhdar-Hamina (Le Vent des Aurès, Chronique des années de braise). Et lui-même a réalisé, conformément à l’accroche publicitaire, « le premier film algérien en couleurs » : Les Hors-la-Loi, narration aux allures de mythification des prémisses immédiates de la guerre d’indépendance.

Les Hors-la-Loi enrobe les événements d’avant « les événements » sous les oripeaux d’un des genres les plus populaires qui soient, de toute évidence apprécié du réalisateur : le western – évoquant moins, cependant, les grandes plaines des États-Unis que le versant latin, la chaleur mexicaine ou même celle des décors espagnols utilisés par les westerns-spaghetti. Les décors naturels des Aurès secs et rocailleux propices aux panoramiques, les villages aux places poussiéreuses et aux murs clairs et bruts s’y prêtent facilement ; Farès en rajoute un peu, affublant ses hors-la-loi de ponchos, se livrant à quelques effets de style – zooms et gros plans – inspirés de Sergio Leone, invitant la guitare du « Métèque » Georges Moustaki pour la musique vagabonde du film. L’intrigue, elle, pourrait convenir à n’importe quelle chronique d’outlaw hollywoodien. Un jeune soldat en butte à la hiérarchie française déserte pour accourir au chevet de son père mourant. Rendu à son village natal pour assister à l’enterrement, il est capturé par le chef local – ou caïd – qui le livre servilement aux autorités. Il s’évade de prison en compagnie de deux co-détenus : un musicien aux mains baladeuses et aux mots de vieux sage, et un autre dont le récit des mésaventures – victime plus ou moins farouche du harcèlement sexuel d’une jolie femme de colon – donne lieu à un flash-back au goût épicé de satire anti-française. La révolte personnelle devient alors une lutte collective, les trois hommes se liguant avec quelques autres pour mener la vie dure aux forces de l’ordre colonial.

Le plaisir manifeste de Tewfik Farès à décalquer un genre populaire aux couleurs locales, à se livrer, par le truchement de ses trois héros, à quelques éclats de récit picaresque à peine contrariés par les maigres moyens (on retient le vieux musicien administrant à un gardien de prison un « coup de boule » impromptu et bizarrement réglé), est bien communicatif. Néanmoins, une distance s’instaure discrètement, qui empêche d’aimer ce film sans aucune réserve, de le prendre comme s’il nous transmettait intimement des choses précieuses. Car au-delà de son statut de film d’action sur fond historique, Les Hors-la-Loi a un petit quelque chose du film-programme à l’initiative de producteurs – en l’occurrence l’État algérien via son organisme fraîchement créé, l’ONCIC : l’application d’intentions pas totalement personnelles, d’une volonté et d’un discours à l’échelle et à l’adresse d’une industrie cinématographique et d’une mémoire collective. Cela ne tient pas seulement à la flatterie de la fibre nationaliste, mais aussi à la signification régulière de l’intention d’être un film de la transition, du changement : « premier film algérien en couleurs », « western du bled », naissance d’un mythe national et un peu plus encore. Ainsi, les premiers plans en noir et blanc cèdent la place à la couleur (on ignore si ce changement est issu d’une volonté artistique, d’une contrainte économique ou même accidentel), la rébellion solitaire devient celle d’un peuple (c’en serait presque un film choral, avec ces quelques personnages contant l’un après l’autre leurs griefs personnels contre le colon), les petits remous de l’histoire locale deviennent légende populaire à la forme et au genre connus de tous.

De cette transition complaisamment signifiée, ni l’issue ni même la poursuite ne seront visibles dans le film, mais annoncées – dans une fin qui, pour le coup, n’en est pas vraiment une – par la bouche d’un administrateur colonial hébété et défait : « Il y en a d’autres... » D’autres rebelles en marche, d’autres actions et d’autres ennuis à venir. La phrase nous rappelle le contraste entre la légèreté du divertissement qu’elle clôt et la gravité du fond historique qui sous-tend celui-ci et qui débouchera sur un paroxysme de violence propre, cette fois, à ne faire sourire personne. C’est que le film se montre assez malin dans son choix de ne mettre en scène que les prémisses de la guerre d’Algérie, le stade où la lutte pour l’indépendance peut encore paraître justifiée face à l’ordre archaïque et occasionnellement brutal (comme lors des massacres de Sétif en 1945) imposé par l’occupant. La guerre elle-même, dans toute son horreur où nul combattant ne pourra se prétendre innocent, l’après-guerre même dans la tourmente des rancœurs et de la nouvelle république, Farès et ses Hors-la-Loi laissent d’autres films, d’autres cinéastes s’y pencher.

Tewfik FarèsBiographie

Scénariste, réalisateur et producteur, Tewfik Farès compte parmi les pionniers des Actualités algériennes. Né en 1937 à Bordj Bou Arreridj, journaliste après des études à la Sorbonne, il débute en 1963 dans la presse filmée. Il collabore à ce titre à plus de 200 journaux d’actualités et à une cinquantaine de documentaires pour le cinéma.

Tewfik Farès travaille ensuite aux scénarios du Vent des Aurès (Prix de la Première œuvre, Cannes 1967 | Prix du Meilleur scénario, Moscou 1967) et de Chronique des années de braise (Palme d’or, Cannes 1975), tous deux de Mohamed Lakhdar-Hamina.

Passé derrière la caméra, il écrit et réalise Les Hors la loi (1969), son premier et unique long-métrage pour le grand écran, suivi du Retour et de Génération de la guerre (1970) pour la télévision.

De retour à Paris au milieu des années 70, Tewfik Farès est le concepteur de l’émission hebdomadaire pionnière Mosaïque (90 min.) sur FR3, dont il assure la direction de la réalisation et la coordination de la rédaction de 1977 à 1987. Il produit à ce titre quelque 800 heures de programmes et en réalise plus de la moitié.

Auteur et réalisateur de nombreux documentaires, enquêtes et magazines, il crée et produit notamment "Télécité" (FR3, 1999), "une série hebdomadaire de 40 émissions de 26’ qui permet à des jeunes de 15 à 24 ans de s’exprimer à la télévision sur des sujets qu’ils proposent et qu’ils tournent en collaboration avec des professionnels qui les forment". Jusqu’en 2003, la série comptera une centaine de numéros.
Egalement poète à ses heures, Tewfik Farès a publié Le Dernier chant (Julliard 1962) et Empreintes de silences (L’Harmattan, 1989). Il est en outre l’auteur des commentaires du film Home de Yann Arthus Bertrand. (Photo Cinemed © Eric Catarina)