Année : 2011
Durée : 72’
Scénario : Nadia El Fani
Image : Fatma Sherif
Son : Nadia El Fani
Montage : Jérémy Leroux
Production déléguée : K’ien Productions
Production étrangère : Z’Yeux Noirs Movies
Distribution France : Jour2Fête (Attachée de presse (film) Annie Maurette)
Août 2010, en plein Ramadan sous Ben Ali et malgré la chape de plomb de la censure, Nadia El Fani filme une Tunisie qui semble ouverte au principe de liberté de conscience et à son rapport à l’Islam…
Trois mois plus tard, la Révolution Tunisienne éclate, Nadia est sur le terrain. Tandis que le Monde Arabe aborde une phase de changement radical, la Tunisie, ayant insufflé le vent de révolte, est à nouveau le pays laboratoire quant à sa vision de la religion.
Et si pour une fois, par la volonté du peuple, un pays musulman optait pour une constitution laïque ?
Alors, les Tunisiens auraient vraiment fait « La Révolution ».
Note d’intention
Durant le montage de mon précédent film documentaire, OULED LENINE, j’ai cherché les traductions de l’Internationale. En les écoutant attentivement, je me suis aperçue que dans la version arabe, le début du second couplet : "il n’est pas de sauveur suprême, Ni Dieu ni César ni tribun…" n’avait pas été traduit littéralement mais remplacé par une phrase sans rapport avec la version originale.
Cette "non" traduction en disait long : La référence au refus de l’autorité de Dieu est un tabou impossible à transgresser en terre d’Islam... Même chez les communistes la règle était respectée ! Tant il est vrai, que ceux qui osent se déclarer athées, le font au péril de leur vie pour certains, au risque de connaître la prison pour d’autres, et en tout état de cause sont mis au banc de leur société s’ils osent l’exprimer publiquement... Ma décision était prise j’allais être de ceux-là, pire… de celles-là !
Je décidai donc, au mois d’Août 2010, de partir tourner en plein mois du Ramadan un film intitulé à l’époque : La Désobéissance. J’avais décidé d’être partie prenante de mon film … De me filmer moi-même dans ce combat qu’il me semblait utile de livrer pour tenter une avancée vers la liberté d’expression … C’était avant la révolution ! Six mois avant la chute de Ben Ali.
Filmer notre quotidien pendant le mois de Ramadan était pour moi la meilleure façon d’illustrer l’emprise totale de la religion sur la société. Ce fameux mois saint où l’on doit observer un jeûne total de l’aube au coucher du soleil.
Comment dire, exprimer, le désarroi des athées, agnostiques ou autres "irréligieux", qui sont si impuissants face à l’oppression religieuse ? Dans un état où il est décrété que tout le monde appartient à la même religion, il est d’autant plus compliqué de se réclamer d’une idée et d’une pensée au mieux ignorée, au pire dénigrée et combattue. Comment pourrait-on se sentir libre alors qu’il n’existe aucune association de taille qui défende la liberté de conscience ?
D’autant que face à cette déferlante religieuse qui connaît un sinistre renouveau depuis quelques années, les athées et libres penseurs doivent démontrer que leur union à eux s’effectue autour de valeurs qui ne discriminent pas l’autre. Et ce n’est que dans le cadre de la laïcité qu’il pourrait leur être donné l’occasion de le faire. La laïcité peut sans doute se passer des athées, mais les athées ne sauraient en revanche se passer de la laïcité s’ils veulent avoir leur mot à dire ou tout simplement survivre en tant qu’"apostats" ! Aujourd’hui, celui qui est athée est d’emblée suspecté de nourrir des sympathies pour l’occident, donc de trahison.
Quand le religieux envahit l’espace public au point de condamner l’athéisme à se cantonner au seul domaine privé, la liberté du citoyen n’est pas respectée et la perspective de développement n’est qu’un leurre. C’est pour lutter contre ce danger qu’il m’est apparu impératif de dire que nous existons mais aussi de le faire savoir au monde entier…
Au lendemain du 14 Janvier 2011, j’étais de nouveau à Tunis… Pendant l’occupation de la Kasbah… Nous réclamions la chute totale de la dictature… J’étais là j’observais, les gens spontanément venaient me parler... Ils parlaient à ma caméra, au monde, aux autres… Soif de paroles libres, décomplexées. Et soudain je découvrais les miens comme ils me découvraient... Avec un immense besoin d’échange ; cette parole qui venaient panser les plaies d’une dictature subie trop longtemps solitairement, car nous étions tous devenus paranoïaques ! Cette place de la Kasbah devenait le symbole de notre solidarité, il suffisait que quelqu’un entonne notre hymne national pour que la foule le reprenne en hurlant à tue-tête pour extirper cette rage de l’humiliation collective... L’émotion que cela provoquait en nous tous se lisait dans les regards... Nous étions comme drogués à la politique.
La question de la laïcité s’est imposée comme question centrale pour le futur de notre pays… Et déjà les islamistes tentaient de récupérer ce qu’ils n’avaient pas vu venir : La Révolution.
Mais pour moi, la Révolution ne sera, que si le peuple vote pour une constitution Laïque.
L’option, de me filmer moi-même, et/ou d’apparaître en tant que sujet/acteur de ce documentaire ne correspond pas à l’assouvissement d’un désir narcissique mais bien aux besoins de m’impliquer politiquement dans ce débat tout juste naissant au Maghreb, de la possible existence d’un " Islam moderne ". Des actes citoyens pour faire avancer le concept de laïcité, de part et d’autre de la Méditerranée sont accomplis chaque jour par des artistes, des intellectuels, des figures politiques… Je veux me mêler aux anonymes qui font de même. Sortir de l’isolement qui m’a conduit à l’exil.
La motivation profonde
À l’heure où la France est bouleversée par l’émergence d’un Islam politique qui se heurte à la laïcité, où une nouvelle loi sur le voile a réveillé "la menace islamiste" selon l’expression consacrée du Ministère de l’Intérieur...
À l’heure où les Etats-Unis, après avoir utilisé et soutenu les mouvements fondamentalistes musulmans à travers le monde et notamment en
Afghanistan, continuent de faire planer le spectre d’une guerre de religions…
À l’heure où il est clair qu’après la disparition de "l’ennemi commun à l’Est", les musulmans font figures de cibles idéales…
À l’heure où "Les printemps arabes" semblent faire des petits du côté de l’Europe.
À l’heure où le mot banlieue n’est employé qu’au pluriel pour désigner un "territoire" qui échapperait à la République et qui serait peuplé par les anciens indigènes.
À l’heure où les immigrés ne sont toujours pas les bienvenus et que leurs enfants semblent pris au piège de la question identitaire.
Au fil des ans, au regard des films que j’ai fait ou de ceux que je projette de faire, force m’est de constater que la question identitaire est toujours présente dans les thèmes que je choisis. Et elle est, d’une manière quasi obsessionnelle, accompagnée d’une volonté farouche de contrer les clichés, ou même de les ignorer pour dessiner, à travers mes images, le paysage d’un monde arabe ancré malgré tout dans une modernité qu’on se refuse à lui reconnaître.
Sans doute ma double appartenance (franco-tunisienne) me rend-elle plus sensible, plus réactive à toute forme d’idées reçues, énoncées çà et là dans des discours, et qui tendraient à diviser en entités fictives l’Occident et l’Orient, sous-entendu : "Nous" et "Eux". Mais lorsqu’on appartient, à l’instar de quelques millions de français aujourd’hui, à la fois à "Nous" et à "Eux", pour ne pas céder à cette vision réductrice du monde, et pour ne pas tomber dans la facilité qui consiste à penser que les civilisations sont immuables et imperméables les unes aux autres, il semble impératif de participer à ce débat tout juste naissant aujourd’hui au Maghreb : la laïcité.
Faire témoigner, celles et ceux qui de l’autre côté des la Méditerranée, luttent pour un humanisme laïque, ultime rempart s’il en est, contre la barbarie, sera l’occasion de rappeler qu’aucun peuple ne trouve de grandeur sans l’expression de sa diversité.
Et comme l’énonçait si bien Edward Saïd (philosophe palestinien et américain) : " Si nous devons tous vivre – c’est notre impératif – nous devons captiver l’imaginaire non pas seulement de nos peuples, mais celui de nos oppresseurs. Et, nous devons demeurer fidèles à des valeurs démocratiques et humanistes."
Nadia EL FANI