Vous êtes ici : Accueil » Films » Les films par ordre alphabétique » N » Nouba des femmes du mont Chenoua (La)

Nouba des femmes du mont Chenoua (La)

Synopsis

Une femme de trente ans, Lila, architecte, et son retour dans la région natale, vers les montagnes du Chenoua, en compagnie de sa fille et de son mari, immobilisé sur sa chaise roulante suite à un accident.
Son rapport de couple semble une impasse, le désir de la jeune femme absent. Le mari, qui incarne ici la double impuissance – physique et émotive – par rapport au changement, l’observe dans son sommeil, figé et muet derrière une fenêtre.

Sommeil agité, habité par l’expérience de la prison (résistante, Lila a été libérée à la fin de la guerre), par la douleur de la perte de ses parents. Le silence est accablant dans la maison rustique où la famille réside. Lila entre et sort continuellement de la maison, part à la recherche de témoignages sur la disparition du frère pendant la guerre, questionne les paysannes, les travailleuses saisonnières des coopératives, les femmes qui furent engagées dans la résistance. Des allers et retours entre une maison et l’autre, entre tradition et modernité, entre histoire et présent, entre musique populaire traditionnelle et musique savante incarnée par des œuvres de Bêla Bartok, qui séjourna en Algérie en 1913, dans une « Algérie presque muette », écrit Djebar, pour étudier la musique populaire. Ce film lui est d’ailleurs aussi dédié. ..

Réalisateur(s) : Djebar, Assia

Type : Long métrage

Genre : Fiction

Année 1977 /115’

" J’ai pensé sincèrement que je pouvais devenir écrivain francophone. Mais pendant ces années de silence, j’ai compris qu’il y avait des problèmes de la langue arabe écrite qui ne relèvent pas actuellement de ma compétence. C’est différent au niveau de la langue de tous les jours. C’est pourquoi, faire du cinéma pour moi ce n’est pas abandonner le mot pour l’image. C’est faire de l’image-son. C’est effectuer un retour aux sources du langage "
Assia Djebar


Commentaire de Wassyla Tamzali

Universel parce que personnel. S’il est un film qui porte la marque de l’ONCIC des années 1970 c’est bien La Nouba. Il y avait là des administrateurs (pas tous mais presque) amoureux du cinéma. De Boudj K. à Yazid K en passant par Farouk B et Mustapha A., de Abdou B. à Khair-Eddine A., sans oublier Ahmed Hocine directeur de la Cinémathèque et Laghouati, le patron/ami, tous étaient tombés dedans.

C’était aussi le temps où le Cinéma /Monde se pressait à Alger. Nous ne voulions pas être en reste, nous étions convaincus que nous allions donner naissance au Cinéma Algérien, comme nos amis, les cubains, les allemands, les argentins, les brésiliens. Pour cela il y avait un besoin urgent de talent. L’appareil de la production nationale avec humilité était à la recherche des cinéastes à venir. Maintenant ils sont là, ils sont nombreux et frappent aux portes closes. Qui accepterait aujourd’hui avec la déférence due à un grand écrivain un projet de film expérimental et « autofictionnel » ? Laghouati et son équipe, à laquelle je participais avec la vague fonction de conseil juridique, accompagnèrent Assia dans son aventure sans rien lui refuser. Le premier film algérien fait par une femme ne sera pas,- tant pis !-, sur le travail des femmes dans la reconstruction socialiste, ni un film triomphaliste sur l’héroïsme des Djamila, ni un film sur l’émancipation des femmes.

Dans l’Algérie post coloniale, en pleine Révolution agraire et socialiste, un ovni naîtra, le premier film « personnel » de la cinématographie algérienne, comme lui reprochèrent les jeunes femmes de la Cinémathèque à la Première du film. Aussi 35 ans après ce film est toujours là...pour ceux qui peuvent le voir sur un des DVD piratés qui circulent

Le film d’Assia n’est pas un film de « circonstances », de cette manière qui marque jusqu’à aujourd’hui la vie Algérienne, politique comme culturelle. Tant de films algériens se sont défaits dans notre mémoire dès que les slogans politiques qui les ont procréés ont disparus. Nouba est un film intemporel/universel qui s’adresse à tous, ici et ailleurs, hier aujourd’hui et demain.

Un film qui fait l’objet de nombreuses recherches et études dans les universités et écoles de cinéma aux USA comme en Europe. Et d’abord un film, comme dit Pasolini qui distrait de la culture de distraction, un film ignoré dans son pays. La Culture avec un « C » majuscule, à contre courant de la culture du spectacle. « Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. » pour le dire comme Guy Débord sur l’après 68 ( La société du Spectacle. Gallimard).

Assia Djebar ne nous endort pas. Elle nous prend par la main,- il faudrait dire par les yeux et l’ouïe -, nous fait traverser les barrières du temps et nous éveille peu à peu à nous même par delà la gangue des discours officiel et de cette identité « meurtrière » dans laquelle nous étions enfermés. Avec Leïla l’héroïne du film, je dirais Leïla/Assia, nous remontons le temps et le Mont Chenoua, les montagnes de l’enfance de la réalisatrice. Leila part à la recherche du frère mort pendant la guerre de libération, mais ce sont les femmes qu’elle rencontre, les héroïnes invisibles, les paysannes et leurs souvenirs des années 54/62. Et plus loin encore les aïeules de 1841/1871. Par la voix des femmes nous pénétrons notre histoire.

Deux traitements filmiques. Un documentaire avec les voix, les regards et les silences des paysannes comme langage, un travail réussit car il est profondément imprégné par la réalisatrice, et en même temps par sa retenue, son effacement. Une évocation subjective du passé qu’Assia assume en historienne. Car Assia est historienne. Est-ce cela qui l’a rend si sensible à la mémoire ? Où est-ce le cinéma dont le sujet principal est le temps comme le dit souvent Marguerite Duras, qui fait d’elle l’historienne de la mémoire des femmes ?

Un film difficile, boudé à Alger et primé à Venise, et dont la lecture conduit à une tension inhabituelle au spectateur algérien que les films algériens avaient habitués à une grande paresse. Qui s’en plaignait ? Les spectateurs de Leila et les autres » de Sid Ali Mazif (RTA/ONCIC 1978), ceux de « Vent du Sud » de Slim Riad (ONCIC 1972) ? De ce dernier film signalons tout de même qu’il donne au cinéma algérien son premier plan sur une jeune fille presque nue. Et oui ! En 1972 la messe islamo-conservatrice n’était encore dite.

Ce film c’est aussi un regard sans complaisance sur ce qui fait habituellement et exclusivement d’une femme une mère et une épouse. Ici Assia est sans concession.

Notes de tournage, Tipaza-Mars 1977. Dans la scène où Leila met sa fille au lit. Instructions à la comédienne : « Tu n’as pas de sentiment maternels. Pas de baisers. Tu la mets au lit, tu t’en débarrasses ». À mes questions elle dira, « Il faut considérer la femme en dehors du mythe de la mère ». Quand au mari, il est dans une chaise roulante. Le film tourne autour d’un lit vide, Ali tombe après avoir vainement essayé d’entrer dans la chambre. Sans commentaires.

C’est à partir de cette scène et du livre de Aïcha Lemcine où le héros et fiancé est tué, à partir de ces deux œuvres, les seules réalisées par des femmes après l’indépendance que je m’interroge dans Algérie Actualité, le 8 mars 1979, « faudra-il tuer les hommes ou les mettre dans une chaise roulante pour obtenir enfin notre liberté ? ».

Assia Djebar
Chevalier de la Légion d’Honneur, Commandeur des Arts et Lettres, Membre de l’Académie française. Ecrivain et cinéaste :
De son vrai nom Fatima Zohra Imalayène, née le 30 juin 1936 à Cherchell (Algérie). Première élève maghrébine admise à l’Ecole Normale supérieure de Sèvres en 1955. Professeur à la faculté d’Alger : d’histoire 1962-1965, de littérature française et de cinéma 1974-1980. En 1977, elle réalise La Nouba des Femmes du Mont Chenoua, long métrage de deux heures, produit en arabe et en français par la télévision algérienne.
Elle publie son premier roman La Soif à l’âge de 21 ans, et sera l’auteur d’une quinzaine de livres, romans, nouvelles et essais confondus.
Elle continuera son travail de cinéaste avec un long métrage documentaire La Zerda et les Chants de l’oubli, présenté en 1982 par la télévision algérienne et primé au Festival de Berlin comme « meilleur film historique » en janvier 1983.
Elle meurt le 6 février 2015 à Paris.