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Zerda ou les chants de l’oubli (La)

Synopsis

Poème en quatre chants qui sont autant de tableaux, réalisé à partir d’archives de la colonisation, cet essai d’Assia Djebar s’attelle à un travail de déconstruction de la mise en image du Maghreb colonial, pendant que la bande-son tente de faire lever d’autres images du Maghreb méprisé en (re)donnant la parole aux Maghrébins au moyen de voix anonymes recueillies ou ré-imaginées.

Thèmes : Colonisation

Réalisateur(s) : Djebar, Assia

Pays de production : Algérie

Type : Long métrage

Année : 1982

Durée : 60’

Scénario : Assia Djenar, Malek Alloula

Musique : Ahmed Essyad

Production : Radiodiffusion Télévision Algérienne (RTA)

"Pourquoi, à un certain moment de mon trajet, suis-je allée au travail de cinéma ?" Plutôt que de dire le cinéma, je dirais l’"image-son". Et je ne me sens pas toutefois quitter la littérature...

La Nouba des femmes du Mont-Chenoua. Ce premier film semi-documentaire, semi-fictionnel (d’une heure cinquante-deux minutes) m’a pris deux ans (1977-1978) ; plus tard, j’en ai réalisé un second (d’une heure) que j’ai intitulé La Zerda, ou les chants de l’oubli (1982). "

Assia Djebar, Pourquoi je fais du cinéma, 1989


Assia Djebar : le cinéma, retour aux sources du langage

(Extrait d’un article de Antonia Naim)

Avec La Zerda ou les chants de l’oubli, l’analyse du regard – regard colonial, regard orientaliste – devient hypothèse de travail, corpus à analyser à travers un autre regard, celui de la cinéaste.
Film documentaire, La Zerda ou les chants de l’oubli, sort en 1982. Le scénario est cosigné par la romancière et par Malek Alloula, poète et écrivain, qui était alors le mari d’Assia Djebar. Le prélude du film annonce les buts de la cinéaste : « 1912-1942, trente ans au Maghreb. Dans un Maghreb totalement soumis et réduit au silence, des photographes et des cinéastes ont afflué pour nous prendre en images. La Zerda est cette « fête » moribonde qu’ils prétendent saisir de nous. Malgré leurs images, à partir du hors-champ de leur regard qui fusille, nous avons tenté de faire lever d’autres images, lambeaux d’un quotidien méprisé... Surtout, derrière le voile de cette réalité exposée, se sont réveillées des voix anonymes, recueillies ou re-imaginées, l’âme d’un Maghreb réunifié et de notre passé. »
Le titre de la première partie du film réaffirme la position de Djebar : La mémoire est corps de femme... Les précieuses images d’archives montrent les bals traditionnels algériens, la fierté des danseuses, on entend les chuchotements des femmes, puis une voix off – celle d’Assia Djebarprobablement – égraine implacablement les années : « 1911, le Maroc avec son sultan est encore indépendant pour quelques mois ; 1912, en Tunisie le protectorat français est installé déjà depuis une génération… Le Caire à la même époque, les Anglais qui sont déjà là vont mettre fin à l’indépendance égyptienne en 1914…Au Maroc le protectorat français est installé. L’insurrection populaire éclate…. ». Puis enfin, au dessus des images de révolte et de répression armée contre le peuple, se superpose : « à Alger on embarque des forçats. 1913, après un siècle de révoltes et d’insubordinations le pays entre dans la nuit coloniale ».
Ensuite une musique arabe, toujours plus forte, discordante, presque expérimentale, se mélange aux voix, aux murmures...

La mémoire et le regard ou plutôt, le double regard, le regard colonial et celui de la cinéaste, se déploient dans un espace sonore, à son tour construit dans un espace cinématographique. La scène devient donc une succession de couches – visuelles, sonores, imaginaires – que la cinéaste explore comme une archéologue. « Comment affronter les sons du passé » se demande Assia Djebar dans son roman L’amour, la fantasia ?
Les critiques ont souvent évoqué le parallélisme entre La Zerda ou les chants de l’oubli et le livre L’Amour, la fantasia, qui le reprend, qui lui fait écho comme auparavant La Nouba des femmes du Mont Chenoua avait introduit et dialoguait avec Femmes d’Alger dans leurs appartements. Le regard voyeur du peintre Delacroix, dans la toile éponyme, montre le regard « vide/vidé » de la femme algérienne, qui, à son tour, baisse les yeux en signe de résistance, résistance au contact et donc à la communication. Baisser les yeux a ici pour Djebar une connotation positive et devient un geste d’affirmation de la personne puisque geste actif. Dans La Zerda ou les chants de l’oubli Assia Djebar baisse les yeux, mais pour mieux regarder, pour regarder les images de l’autre, pour analyser l’expérience coloniale. Pour mieux réfléchir sur la création artistique. Avec la même volonté obstinée de passer au crible l’histoire du Maghreb, l’histoire officielle et la micro histoire, et de produire en même temps de l’art, de travailler sur une structure musicale en plusieurs temps, sur une écriture polyphonique parallèle faite de sons et de mots. Écriture tout court, extrêmement présente dans le film, écriture historique et poétique, qui ne s’oppose jamais aux images. Au contraire, le sens dans cette oeuvre difficile, presque élitiste, est l’harmonie entre création poétique et musicale, entre création cinématographique et historiographie. L’imaginaire de la « fugitive » Assia Djebar a laissé une trace dans le monde des images en mouvement et pas seulement celle des « murmures anciens ».

Ici alors, l’image fait texte, texte complexe, en retour de la démarche première qu’on aurait pu simplement dire passage du roman au film, mais qui se révèle ainsi comme entrée du roman dans le film, comme littérature et cinématographe, indissolublement. L’œuvre de Assia Djebar est un moment essentiel dans l’exploration de la polyphonie du monde d’aujourd’hui, sons, images, textes, langues parallèles et communes.