Année : 2009
Durée : 64’
Scénario : Agnès Nassery
Image : Carlos Alvarez, Agnès Nassery
Son : Carlos Alvarez, Agnès Nassery
Montage : Hélène Attali
Production : Lardux Films/ TVM Cinéplume, avec le soutien du CNC Cosip.
En 2004, j’ai rencontré et filmé des femmes issues de l’immigration. Elles participaient à un stage d’alphabétisation et de couture à St Denis, dans l’association « Femmes Actives ».
Ces femmes avaient décidé, après des années en France, de faire ce stage de six mois, pour apprendre à lire et à écrire le français, apprendre à couper et à coudre un vêtement qu’elles pourraient porter.
Elles étaient attachantes : j’ai eu envie de commencer un film sur elles, avec elles, et plus particulièrement avec Amina, Aïcha, Carolita, Messaouda, Saléa.
Montrer le combat discret, très humble, qu’elles mènent, pour tenter d’acquérir un peu d’autonomie, sortir de leur condition de dépendance psychologique et intellectuelle. Ne plus être analphabètes, méprisées, déconsidérées. Devenir des interlocutrices.
Elles ne sont pas dans la revendication ou l’exigence, elles sont dans la responsabilité, dans une démarche forte et grande, qui leur apportera, il faut l’espérer, un peu de considération, écartera la discrimination, et leur permettra d’appartenir enfin, un tant soit peu, à leur pays d’accueil.
Elles sont en France depuis une vingtaine d’années souvent, mais en marge. Elles ont élevé leurs enfants, vécu pour leurs familles, sans jamais penser à leurs propres vies. Une fois leurs enfants grandis, une fois leurs devoirs accomplis, elles réalisent qu’elles vivent dans un pays dont elles ignorent tout : la langue, la culture, les codes. Un pays qui, du coup, les tient prisonnières.
Elles ont fort peu d’autonomie, attachées à leur cité, seul lieu qu’elles connaissent vraiment, attachées à ceux de leur cité, dont elles partagent la culture.
Elles sont restées au cours des années, parfaitement étrangères à leur nouveau pays, et leur autonomie géographique n’excède que rarement les proches limites de leur résidence.
Lorsqu’elles deviennent moins indispensables à leur famille, elles se retrouvent dans une grande solitude, et se découvrent handicapées à elles-mêmes.
Alors avec beaucoup de courage, discrètement et sans bruit, certaines, comme celles qui feront ce film, vont tenter quelque chose pour elles mêmes : apprendre la langue de ce pays qu’elles n’ont jamais vraiment habité, pouvoir faire enfin des choses simples comme aller chez le médecin seule, lire les lettres qui leur sont adressées, s’aventurer au delà de leur cité.
Elles font ces efforts pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants, leurs petits enfants. Elles veulent pouvoir parler avec la maîtresse, suivre un peu leurs études, tenter de partager leur histoire française.
Quand on les voit et qu’on les entend apprendre le français, on réalise à quel point c’est difficile, à quel point le chemin est long et le courage nécessaire, pour cet embarquement tardif entre la trentaine passée et la cinquantaine.
En 2006, je les retrouve, prêtes à poursuivre cette histoire, la leur, et faire enfin, nous l’espérons, ce film auquel nous tenons. Où en sont-elles ? Où en sont les espoirs de la fin de stage ? Qu’a permis leur démarche ?
Elles ont changé physiquement, intellectuellement, elles ont avancé ou stagné.
Mais de toutes manières ce stage les a transformées.
Amina travaille, Messaouda et Salea ont acquis un peu d’autonomie personnelle, de l’initiative, Carolita a obtenu une formation avec travail à la clef, seule Aïcha a disparu, probablement happée par sa famille.
Pour continuer ce film avec elles, j’utiliserai des images tournées en 2004, comme des images d’archives qui mettent en perspective le présent. Faire un travail élaboré d’écriture, et de construction littéraire, parfois poétique, avec elles, dans l’échange de paroles, de témoignages. Associer les temps, les personnages, les formes narratives, pour construire un film à plusieurs voix.
Je veux montrer leurs précieux pas en avant, si minimes soient-ils, pour que le regard qui pèse sur elles ne soit plus tout à fait le même, pour qu’on considère enfin ces femmes, qui à priori n’intéressent personne.
Porter les paroles, l’histoire et les efforts de ces femmes, faire de ce film un espoir, pour toutes celles qui voudraient bien elles aussi, franchir ce pas, mais n’osent pas encore.
Que des femmes, des mères apprennent à lire et à écrire peut paraître somme toute chose banale, qu’elles veuillent faire quelque chose de leurs propres mains aussi. Mais ces banales acquisitions sont essentielles pour que les générations suivantes, leurs enfants, vivent bien et se sentent enfin appartenir un peu plus, un peu mieux, à leur pays et à sa culture, en l’occurrence, la France.
Agnes Nassery