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Folle de Toujane (La)

Synopsis

Les itinéraires de deux amis d’enfance, Roger, instituteur, et Gwen, animatrice de radio. Le premier est en Tunisie pour « propager » la culture française. Il assiste aux indépendances tunisienne et algérienne tandis que son amie mène une vie monotone à Paris.
A la fois une histoire d’amour : deux jeunes qui se plaisent, s’aiment et vieillissent séparément parce que la vie, le boulot, les autres, les séparent et les rendent différents.
Et une histoire politique : une fille qui accepte de s’intégrer dans un système et un gars qui refuse jusqu’à en crever.
Et aussi une histoire de peuples qui se réveillent, qui se retrouvent, au besoin en faisant craquer un système.

Thèmes : Colonisation , Cycle Vautier

Réalisateur(s) : Vautier, René

Pays de production : France

Type : Long métrage

Genre : Drame

Année  1973 / 150’ 

Scénario René Vautier

Image Pierre Clément

Son Antoine Bonfanti

Montage Lina Lorme

Musique Bernard Benoît

Production Unité de Production Cinéma Bretagne

Avec Gilles Servat, Micheline Welt

Prix des Peuples au Festival de Cannes, Prix de la Fédération Internationale des ciné-clubs.

Commentaire

« La Folle de Toujane », l’une des rares fictions de René Vautier, est un film imparfait. Trop long, il est aussi brouillon, assez "foutraque". Pourtant, c’est aussi ce qui fait son charme. Dans ce film, le cinéaste évoque ses diverses expériences. Si l’on accepte certaines maladresses formelles, on se laisse prendre par son récit, par les situations qu’il dépeint, par l’engagement qu’il manifeste une fois encore. "On ne combat bien que là où l’on connaît", dit à peu près le protagoniste à la fin de l’histoire. Vautier le montre : en nous faisant sentir qu’il sait de quoi il parle, il rend la pertinence de son propos d’autant plus évidente.

Le film, narré en off par Julien Guiomar (jouant le rôle d’un ancien instituteur), s’ouvre sur une histoire solaire, sensuelle, entre deux camarades et amants, Gwen et Roger (Gilles Servat), anciens élèves du narrateur. Ca se passe dans leur Bretagne natale, d’où elle est partie pour Paris, où Roger demeure encore, dans la ferme de ses parents agriculteurs. Gwen est déterminée à vivre en ville pour faire carrière, Roger, lui, choisit plutôt mollement la profession d’instituteur. Lorsqu’il se fait muter en Tunisie, le chemin des amants se sépare. Progressivement, leurs tendances respectives s’inversent. Alors que Gwen, au départ, affirmait sa volonté d’aller de l’avant, nous la voyons, dans des scènes courtes qui scandent le récit, s’enfoncer dans une vie terne de minable présentatrice radio et de femme entretenue - représentant par-là l’image décriée par les bretons de ceux qui sont partis en ville. Roger, d’abord plutôt passif, se met à prendre conscience, de l’inepsie de la colonisation, des horreurs de la guerre, de la nécessité de résister.

Dans le petit village tunisien de Toujane où il enseigne, il est confronté à la solitude, à son irréductible statut d’étranger. Apprécié par ses élèves, il ne s’intègre par pour autant aux villageois. Les colons le regardent quant à eux d’un mauvais oeil, car il est insoumis, n’hésitant pas à fuir la salle de classe et les livres au profit de promenades éducatives, à mettre dehors l’inspecteur de l’éducation donnant ses directives pour former des élèves dociles et aptes à partir travailler en France. Au fil du temps, Roger s’accomode de sa vie d’exilé. Et puis, c’est la guerre d’Algérie qui lui saute au visage. Une femme de Toujane, Saloua, mariée à un algérien qu’elle a suivi dans son pays, revient au village, rendue démente par le meurtre de ses enfants par des soldats français. Face à son drame, et à sa mort tragique, Roger ouvre les yeux. Plus jamais il ne pourra vivre comme avant. La guerre d’Algérie, c’est aussi ce qui ponctue le film, via les informations données par Gwen à la radio, qui en racontent la chronologie. Informations que la jeune femme prononce sans émotion, semblant bien peu touchée ni concernée par la tragédie qui sévit.

Lorsque Roger revient en Bretagne, il apprend que les agriculteurs, notamment sa famille, souffrent d’une grande pauvreté et doivent quitter leurs terres, réquisitionnées par les militaires. Ne supportant pas leur résignation, il appelle les siens à la résistance. Un combat qu’il ne semble pas avoir la force de mener car à la fin, dans une séquence assez surréaliste, Roger se suicide. De son côté, Gwen, s’enfonçant de plus en plus dans la médiocrité et les illusions déçues, continue à rêver à son manteau de fourrure.

L’une des originalités de La Folle de Toujane est l’usage que fait Vautier d’images de ses films antérieurs (ce qui est récurrent dans plusieurs de ses oeuvres). Insérer des témoignages déjà enregistrés était-il une commodité ? Ou un moyen d’ébaucher une fresque permettant de nous plonger dans son univers, dans les problématiques qui lui sont chères ? Bien connaître l’intégralité de la filmographie de Vautier permet sans doute de saisir des liens, des résonnances, d’assimiler pleinement son propos, ses constats. Comme ailleurs également, on ne manque pas de noter la présence de chansons, dont il compose en partie les paroles et qui font résonnance avec ce que son histoire raconte.

La frontière entre fiction et documentaire est ici aussi poreuse que dans Avoir vingt ans dans les Aurès. La Folle de Toujane est un récit construit, il est interprété (pas toujours de façon convaincante) par des comédiens jouant un rôle. Mais certains moments relèvent de la chronique. Ainsi des scènes en Bretagne, dans la ferme familiale ou lors d’un banquet pour fêter le cochon. Alors, les comédiens cohabitent avec des non professionnels, qui ne jouent pas, qui parlent breton et vaquent à leurs occupations, naturellement. Le cinéaste semble leur avoir donné peu de directives, préférant sans doute s’effacer pour mieux les regarder évoluer, pour nous permettre une immersion dans leur univers. Le documentaire s’invite également dans des images d’une manifestation bretonne ou du bombardement de Sakat Sidi Youssef en Tunisie. Cette fois, de par leur contenu, elles ramènent au premier plan le militantisme de René Vautier.

Dans une scène étonnante, ce dernier met en scène un cinéaste qui a été témoin d’une injustice subie par un algérien. Le personnage compte en faire un film, mais pas tout de suite, dans cinq ans, sinon il aura des ennuis. A ce moment, Vautier règle ses comptes avec ses compères cinéastes, à qui il reprochait de ne pas avoir le courage de faire des films sur le sujet brûlant de la guerre d’Algérie. De ce courage, les films de Vautier en ont pâti, en étant récupérés par un producteur qui, paraît-il, était proche du Front National et qui, en en rachetant les droits, voulut les enterrer. Il est ainsi fort difficile de voir ces films, dont la pellicule, ou les cassettes, se détériorent. Les conditions de projection parfois laborieuses n’altèrent que peu l’intérêt que l’on porte aux films de Vautier. Au contaire, elles amplifient notre sentiment d’avoir affaire à un objet rare, fragile, et par-là même précieux.

Marion Pasquier

Nicole Le GarrecBiographie de Nicole Le Garrec

Elle travaille à plusieurs reprises avec René Vautier : comme scripte pour Avoir 20 ans dans les Aurès (1972), comme co-réalistatrice pour La Folle de Toujane (1974) et Quand tu disais, Valéry (1975). Avec son mari Félix Le Garrec, elle réalise des diaporamas : La langue bretonne ; des films documentaires : Les enfants dauphins, La chapelle de Languivoa, La porte du Danube, Pierre-Jakez Hélias.
Le film Plogoff, des pierres contre des fusils marque sa carrière.
En 2000, Nicole et Félix Le Garrec publient un livre Le siècle des Bigoudènes où Félix Le Garrec a rassemblé des photos noir et blanc du Pays Bigouden des années soixante. Les textes de cet ouvrage bilingue français/breton ont été écrits par Nicole Le Garrec.

Biographie de René Vautier

René VautierNé en 1928 à Camaret-sur-Mer, d’un père ouvrier d’usine et d’une mère institutrice, il mène sa première activité militante au sein de la Résistance en 1943, alors qu’il est âgé de 15 ans, ce qui lui vaut plusieurs décorations : Croix de guerre à 16 ans, responsable du groupe « jeunes » du clan René Madec, cité à l’Ordre de la Nation par le général Charles de Gaulle pour faits de Résistance (1944).
Après des études secondaires au lycée de Quimper, il est diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) en 1948, section réalisation.
En 1950, son premier film, Afrique 50, chef-d’œuvre du cinéma engagé, lui vaudra 13 inculpations et une condamnation de prison, pour violation du décret Pierre Laval (Ministre des colonies) de 1934. René Vautier est mis en prison militaire à Saint-Maixent, puis à Niederlahnstein en zone française d’occupation en Allemagne. Il sort en juin 1952. Afrique 50 reçoit la médaille d’or au festival de Varsovie.
Engagé en Afrique sur divers tournages, il rejoint le maquis des indépendantistes du FLN. Directeur du Centre Audiovisuel d’Alger (de 1962 à 1965), il y est aussi secrétaire général des Cinémas Populaires.
De retour en France, il fonde en 1970 l’Unité de Production Cinématographique Bretagne (UPCB) dans la perspective de « filmer au pays ».
En janvier 1973, il commence une grève de la faim, exigeant « […] la suppression de la possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques ». René Vautier aura raison de la commission. Il sera soutenu par Claude Sautet, Alain Resnais et Robert Enrico. Au terme de cette grève, la loi sera modifiée.
En 1974 il reçoit un hommage spécial du jury du Film antiraciste pour l’ensemble de son œuvre. Il fonde en 1984 une société de production indépendante, Images sans chaînes.
René Vautier s’est toujours efforcé de mettre « l’image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent », pour montrer « ce que sont les gens et ce qu’ils souhaitent ». Comme Jean-Luc Godard, qu’il ne rencontre qu’en 2002, il participe à l’aventure des Groupes Medvedkine en 1968, le seul collectif cinéastes-ouvriers de l’histoire du cinéma, René Vautier est un des très rares cinéastes à développer une théorie en acte de l’image.
Il a reçu en 1998 le Grand Prix de la Société Civile des Auteurs Multimédias pour l’ensemble de son œuvre.
Tout en ayant combattu Jean-Marie Le Pen, il a, comme l’Abbé Pierre, néanmoins soutenu Roger Garaudy lors de son procès pour négationnisme. En fait, le cinéaste tout en témoignant de son amitié et son admiration pour l’homme, avait clairement marqué qu’il ne partageait pas les thèses négationnistes qui étaient reprochées à celui-ci.
Il est décoré de l’ordre de l’Hermine en 2000 à Pontivy.
Il est nommé président d’honneur des Ecrans Citoyens en 2002 à l’Institut d’art et d’archéologie.
Il a posé ses valises à Cancale et a en préparation un film sur la censure, monté par sa femme Soazig Chappedelaine, elle-même cinéaste.

Filmographie de René Vautier

1998
 - Et le mot frère et le mot camarade (documentaire, 50’)
1998 - Dialogue d’images en temps de guerre (documentaire)
1995 - L’Huma, la lutte, l’Huma, la fête (documentaire, 64’)
1995 - Hirochirac 1995 (documentaire, 65’)
1991
 - Allons enfants du bicentenaire (documentaire, 76’)
1988 - Mission pacifique, coréalisation Michel Le Thomas (documentaire, 54’)
1987 - Déjà le sang de mai ensemençait novembre (documentaire, 70’)
1987 - Vous avez dit : Français ? (documentaire, 120’)
1986 - Paris pour la paix coréalisation Gérard Binse (fiction, 52’)
1985 - À propos de… l’autre détail (documentaire, 45’)
1985 - Chateaubriand, mémoire vivante (documentaire, 65’)
1985 - Tournevache (documentaire, 60’)
1984
 - La nuit du dernier recours, film collectif (documentaire)
1984 - Immigration : Amiens (documentaire)
1982 - Déjà le sang de Mai ensemençait Novembre, (documentaire, 60’)
1980 - Vacances en Giscardie (documentaire, 45’)
1980 - Le Scorpion de Saint-Nazaire (documentaire, 13’)
1978 - Marée noire, colère rouge (documentaire, 64’)
1978 - Le Poisson commande, coréalisation Yann Le Masson, Nicole Le Garrec (documentaire, 31’)
1976 - Frontline, coréalisation Brigitte Criton et Buana Kabue (documentaire, 75’)
1975 - Quand tu disais Valéry, coréalisation Nicole Le Garrec (documentaire, 125’)
1974 - Le Remords, coréalisation Nicole le Garrec (fiction, 30’)
1974 - La Folle de Toujane, coréalisation Nicole Le Garrec (fiction, 130’)
1973 - Transmission d’expérience ouvrière (documentaire, 15’)
1972 - Avoir 20 ans dans les Aurès (fiction, 90’)
1972 - Terrains pour l’aventure (documentaire, 52’)
1971 - Mourir pour des images (documentaire, 45’)
1971 - Les Ajoncs (fiction, 10’)
1971
 - Techniquement si simple (fiction, 15’)
1970 - La caravelle (fiction, 8’)
1970 - Les Trois cousins (fiction 10’)
1969 - Classe de lutte, coréalisation Chris Marker (documentaire, 37’)
1964 - Le Glas (documentaire, 5’)
1962
 - Un seul acteur, le peuple (documentaire)
1960
 - Karim et Leïla
1957 - Algérie en flammes (documentaire, 25’)
1956 - Anneaux d’or (fiction, 14’)
1956
 - Plages tunisiennes (fiction)
1955
 - Aux yeux de tourterelle (documentaire)
1955 - Pavillon chinois (documentaire)
1954
 - Une nation l’Algérie, coréalisation Jean Lodz (documentaire)
1953
 - D’autres sont seuls au monde !, film collectif (documentaire, 30’)
1951 - Un homme est mort (documentaire, 12’)
1951
 - L’Odet (documentaire, 10’)
1950 - Afrique 50 (documentaire - 20’)

(Source : Filmographie établie par Oriane Brun, Arte 31/03/2003)