L’édition 2012 du Maghreb des films, hommage à René Vautier
Le thème marquant de l’année 2012 est la commémoration du 50ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Le Maghreb des films 2012 se déroulera en 3 séquences. A Paris, les deux premières séquences de l’édition 2012 vont « coller » aux deux grands événements de 1962, le cessez-le-feu le 19 mars, l’indépendance le 5 juillet. Elles porteront sur la guerre de libération et les premières années d’indépendance.
Le programme de la première séquence, un hommage à René Vautier, se déroulera à Paris du mercredi 11 avril au dimanche 15 avril aux 3 Luxembourg.
Voir la liste des films avec les synopsis et les horaires des séances, téléchargez le catalogue.
Les deux autres séquences se dérouleront à l’Institut du Monde Arabe et aux 3 Luxembourg et sont en cours de définition
En novembre la troisième séquence sera sous la forme maintenant habituelle des éditions du Maghreb des films : inédits maghrébins, documentaires, films TV, Web, etc., avec une partie importante du programme portant sur les années d’indépendance de l’Algérie et un hommage à un grand cinéaste algérien.
Le réseau de salles partenaires du Maghreb des films - une trentaine en 2011 en banlieue parisienne et en région - sera, comme les années passées, invité à établir sa propre programmation à partir de la sélection parisienne ou d’autres sélections.
Pour René Vautier, l’Algérien…
Un soir de ce premier été 62 de l’Algérie
indépendante, mes pas me menèrent au
coeur d’Alger, dans une salle paroissiale
de la rue Horace Vernet où se projetaient
« Le cuirassé Potemkine » de Eisenstein et
« Le sel de la terre » de Herbert Biberman.
Alors benjamin de la presse algérienne,
du haut de mes dix-huit ans, je découvrais
pour la première fois des oeuvres dites
« révolutionnaires » ou « sociales »
quand ma culture cinématographique
adolescente, forgée dans une Algérie
encore française, tournait autour de
westerns, de fi lms de guerre, et de
péplums et que mon héros avait pour
nom James Dean « le rebelle sans cause ».
Et ma « cause » politique c’est surtout
ce soir-là que je l’ai rencontrée, grâce
aux propos à la fois passionnés et
d’une grande pédagogie délivrés par
un homme à la haute stature et à la
longue crinière blanche qui avait pour
nom René Vautier, dont ma jeune culture
journalistique m’enseignait son rôle de
cinéaste de la Révolution algérienne et
de fondateur du C.A.V., le Centre Audio
Visuel, première structure du 7ème art
algérien et ancêtre du CNC qui ne verra
le jour que début 1964.
Autour de la figure emblématique de
René Vautier « l’Algérien », s’attroupait
un aréopage de jeunes passionnés des
images animées. Il y avait là Djamel
Chanderli dont les pas et la caméra
avaient précédé de quelques semaines
ceux de René Vautier dans les maquis,
Ahmed Rachedi qui signera en 1965 «
L’aube des damnés », conçu en partie
par le même René Vautier, Nacerdine
Guenifi partie prenante du noyau
fondateur et futur directeur de la photo,
Mohamed Lakdhar Hamina, transfuge du
service cinéma du GPRA créé à Tunis en
1957…
Dans les mois et années qui suivirent,
la cinémathèque d’Alger m’offrit le rare
privilège de découvrir toutes ces « bandes
» filmées durant la guerre de libération et
en particulier « Algérie en flammes », «
Djazaïrouna », « Les fusils de la liberté »…
Devenu rédacteur en chef des Actualités
algériennes dirigées par Mohamed
Lakhdar Hamina, en 1965, j’ai compris
à travers ces premiers films nés dans les
maquis que le cinéma algérien se devait
d’être un cinéma de combat, un art au
service des idéaux de liberté et de justice.
De cette soirée de projection rue Horace
Vernet, mon destin de futur critique de
cinéma était né, en même temps que
mon indéfectible amitié pour ce René
Vautier dont la vie et la totalité de l’oeuvre
sont restées au service des causes justes,
et des plus humbles, ces « damnés de
la terre » chers à un certain Frantz
Fanon, autre figure venue d’ailleurs
nourrir et promouvoir cette jeune Algérie
alors encore pleine de promesses
d’avenir…
Mouloud Mimoun,
Président du Maghreb des Films
René Vautier l’indépendant : l’Algérie au coeur
L’Algérie – son histoire, sa lutte pour l’indépendance,
son destin en tant que nation – est au coeur de l’oeuvre
de René Vautier, cinéaste engagé qui, depuis plus de
six décennies, réalise des films de combat contre toutes
les formes d’oppression et d’exploitation, qu’elles
soient politiques, économiques ou culturelles.
Son cinéma, Vautier le définit lui-même comme un « cinéma
d’intervention sociale » : « Filmer ce qui est, pour agir
sur le développement de cette réalité. »
Le combat a précédé le cinéma dans la vie de ce jeune Breton, né
en 1928, qui, à 15 ans, s’engage dans la Résistance.
De cette première expérience de guerre, il ressort
fondamentalement pacifiste et décidé à poursuivre le
combat non avec des armes mais avec une caméra :
arme de témoignage et instrument de paix.
À cette fin, il passe en 1946 le concours d’entrée à l’Institut des
Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) dont il sort
en 1948, major de la section réalisation/documentaires.
L’année suivante, la Ligue Française de l’Enseignement lui
commande un reportage destiné aux écoliers et montrant
« comment vivent les villageois d’Afrique occidentale
française ». La confrontation avec l’Afrique coloniale
est violente et Vautier, se refusant à faire la publicité de
la mission éducative que la France prétend poursuivre
dans ses colonies, filme l’exploitation des populations
et des ressources locales, la misère mais aussi la
répression arbitraire menée par l’armée française. À
partir des quelques bobines qu’il parvient à sauver de la
confi scation, il monte Afrique 50, véritable poème visuel,
coup de poing formel et politique. Considéré aujourd’hui
comme « le premier film anticolonialiste français »,
Afrique 50 est interdit à l’époque et vaut à son auteur un
an de prison (pour avoir « procédé à des prises de vues
sans l’autorisation du gouverneur de la Haute-Volta »).
Il récidive en 1954 en relatant la véritable histoire de
la conquête de l’Algérie en 1830, images, textes et
témoignages des acteurs de l’époque à l’appui (trouvés
à la BNF) : une histoire de fer, de feu et de sang.
Dans
Une nation l’Algérie, réalisé alors que vient d’éclater
l’insurrection nationaliste en Algérie, Vautier dévoile
l’histoire de ce pays avant la colonisation française et
conclut que « de toute façon l’Algérie sera indépendante
et qu’il conviendra de discuter avec ceux qui se battent
pour cette indépendance avant que trop de sang ne
coule ».
Ce discours est insupportable aux tenants de
l’Algérie française et l’auteur, poursuivi pour « atteinte
à la sûreté intérieure de l’Etat », bascule bientôt dans
la clandestinité et une forme de lutte plus radicale aux
côtés des indépendantistes algériens.
En 1956, il gagne
la Tunisie où, tout en réalisant des films pour cet Etat
nouvellement indépendant (notamment, Les Anneaux
d’or - Chaîne d’or), il prend contact avec le Front de
libération nationale (FLN).
Après des cinéastes américains (Herb Greer et Peter
Throckmorton en Oranie fi n 1956) et algérien (Djamel
Chanderli dans le Nord-Constantinois en 1957),
Vautier part filmer dans les maquis algériens (dans les
Aurès-Nemenchas et à la frontière algéro-tunisienne,
le long du barrage électrifié que l’armée française est
en train d’édifier en 1957) tout en formant quelques
combattants au maniement de la caméra. Ces images
servent de support à des reportages courts pour la
télévision, diffusés notamment dans le bloc de l’Est, mais
surtout au film Algérie en flammes dont Vautier assure le
montage à Berlin-Est début 1958, en version française,
allemande et arabe.
À l’encontre de la propagande
française qui présentait les « fellaghas » algériens
comme des bandes inorganisées de « hors-la-loi » et
des barbares sanguinaires, le film révèle l’existence
d’une armée régulière (l’ALN), proche du peuple et
efficace dans sa lutte pour l’indépendance. Tandis
que le film est largement diffusé à travers le monde,
concourant à la reconnaissance du problème algérien et
à l’internationalisation du conflit, son auteur, victime des
divisions internes au sein du FLN, passe vingt-cinq mois
dans une prison algérienne en Tunisie. Ces images sont
également intégrées au premier film produit en 1961
par le service cinéma du Gouvernement provisoire de
la République algérienne (GPRA) afin d’être projeté à la
tribune de l’ONU : Djazaïrouna (Notre Algérie).
Dans l’Algérie fraîchement indépendante de l’été
1962, René Vautier participe à la mise en place des
institutions cinématographiques du nouvel Etat en
créant le Centre Audiovisuel d’Alger, destiné à former
cinéastes et techniciens, qu’il dirige jusqu’en 1965.
Avec ses premiers élèves (dont Ahmed Rachedi), il livre
en 1963, avec Un peuple en marche, un documentaire
sur les premiers mois de l’Algérie indépendante, en
marche vers l’avenir et la reconstruction, affrontant la
bataille du développement.
En 1965, il travaille, avec
Mouloud Mammeri, au scénario d’un film sur l’histoire
de la colonisation et des luttes de décolonisation, dont
la réalisation est confiée à Ahmed Rachedi par le jeune
Centre national du cinéma algérien (CNC) créé et
dirigé par Mahieddine Moussaoui : L’Aube des damnés.
Parallèlement, il est conseiller à la production pour la
première grande fiction algérienne sur la guerre qui vient
de s’achever : Le Vent des Aurès, du cinéaste algérien
Mohamed Lakhdar-Hamina qui remportera la Palme
d’Or à Cannes, dix ans plus tard, pour Chroniques des
années de braise.
L’aventure algérienne de René Vautier aurait pu s’arrêter
là puisqu’il revient en France en 1966. Pourtant, moins
guidé par les urgences de l’histoire, dans le temps-long
de l’après-guerre, il entreprend alors, parallèlement à ses
autres projets, un travail de longue haleine et, jusqu’au
milieu des années 1980, collecte des centaines de
témoignages, dans les deux camps, avec l’idée de faire
dialoguer les mémoires et de conserver des traces de
cette guerre pour l’histoire.
À partir des récits d’anciens
appelés du contingent, il réalise en 1972 Avoir vingt
ans dans les Aurès (son film de fiction le plus connu,
récompensé du prix de la critique internationale
au Festival de Cannes) : sept jours de la vie d’un
commando de chasse dans les Aurès, en avril 1961 ou
« comment peut-on mettre des jeunes gens en situation
de se conduire en criminels de guerre ? »
Comme dans
La Folle de Toujane (réalisé en 1974 et inspiré d’un
fait divers dont il avait été témoin parmi les réfugiés
algériens en Tunisie), il intègre dans cette fiction ses
propres images d’archives, tournées pendant la guerre
et notamment ces plans très impressionnants des victimes
du bombardement français sur le village de Sakhiet-Sidi-
Youssef en février 1958.
La Folle de Toujane, sous-titré «
comment on devient un ennemi de l’intérieur » interroge
la double notion de colonisation extérieure et intérieure
: un jeune instituteur breton, témoin des luttes pour
l’indépendance en Tunisie et en Algérie, rentre au pays
avec la conscience que l’on doit se battre contre l’Etat
centralisateur pour la préservation d’une culture bretonne
et la défense économique d’une région, pour vivre et
travailler là où l’on est né.
En 1985, Vautier réalise A propos de ... l’autre détail à
partir des témoignages de victimes algériennes torturées
pendant la guerre par le lieutenant Jean-Marie Le Pen,
mis en perspective par des analyses de l’historien Pierre
Vidal-Naquet et de Paul Teitgen, ancien responsable de
la police pendant la bataille d’Alger qui démissionna
pour protester contre les tortures et les exécutions
sommaires. Au retour du procès intenté par Le Pen
aux journaux Le Canard Enchaîné et Libération pour
diffamation à propos de son action en Algérie, au cours
duquel ces images ont été projetées à décharge, René
Vautier découvre toutes les bobines de ses entretiens
fi lmés détruites par un commando.
Victimes de la censure, mais aussi des conditions
de leur production et de leur diffusion (dans un cadre
militant, dans le feu de l’action et des révolutions),
bien des images filmées par René Vautier depuis le
début des années 1950 ont aujourd’hui disparu.
Si la Cinémathèque Française a recensé 180 films, son
oeuvre reste largement dispersée et invite à un patient
travail de recherche, d’identification et de restauration
(auquel s’est attelée la Cinémathèque de Bretagne, à qui
Vautier a confié la conservation de son fonds), pour la
faire connaître aux nouvelles générations.
En cette année
de commémoration de la fin d’une guerre qui aboutit à
l’indépendance conquise pour l’Algérie, le Maghreb des
Films a décidé de rendre hommage au cinéaste breton
qui garde l’Algérie au coeur, en projetant la plupart
de ses films liés à ce pays et aujourd’hui disponibles,
quelques oeuvres de la cinématographie algérienne
qu’il a contribué à faire naître, mais aussi un choix de
documentaires qui évoquent le parcours, le travail et
l’oeuvre, en un mot l’engagement de René Vautier.
Marie Chominot, Docteur en histoire contemporaine