Impression du Maghreb des films 2013 à Paris
Alléluia ! 2013 marquera peut-être un tournant dans la vie du MAGHREB DES FILMS.
Après une préouverture le 9 novembre suivie par plus de 100 personnes passionnées et très présentes, cinq heures durant, aux Ateliers Varan pour « la master class » de Malek Bensmaïl, le Grand Auditorium Rafic Hariri de l’INSTITUT DU MONDE ARABE n’a pas désempli, pendant six jours, du 20 au 25 novembre, que ce soit pour les soirées d’ouverture et de clôture ou pour la séance de courts-métrages du jeudi 21.
8 séances et 19 films à l’Institut du Monde Arabe…
15 séances et 28 films à La Clef…
Une fréquentation exceptionnelle à l’IMA, plus variable à La Clef, mais en tout près de 4000 spectateurs.
La programmation a été très riche et de grande qualité. Il est impossible de tout commenter. Ce sont donc mes « coups de cœur », que je présenterai en quelques flashes, sans prétention. Je ne suis pas critique cinématographique.
De l’avis unanime, le plus beau film serait Les Terrasses de Merzak Allouache, en ouverture à l’IMA.
Je mets le conditionnel parce que je ne l’ai pas vu, je n’ai pu entrer dans la salle tant celle-ci était pleine ! On m’a rapporté que c’est un très beau film, dans la lignée de son film précédent, Normal ! et de son premier film, coup de tonnerre dans l’univers cinématographique maghrébin, Omar Gatlato.
J’ai rêvé de voir Alger des 5 terrasses où se déroulent le film.
Espérons qu’il trouve rapidement un distributeur.
Ce qui me frappe dans cette programmation, c’est la diversité des formats, des sujets et des formes.
Une vingtaine de courts métrages, tous de qualité, mais certains sont de véritables bijoux. J’en citerai trois, d’abord Peau de colle de Kaouther Ben Hania (Tunisie/23’). Histoire d’une petite fille qui refuse d’aller à l’école coranique (occasion pour la réalisatrice de la tourner en ridicule). Humiliée par le maître d’école, elle refuse le lendemain d’y retourner et imagine un stratagème : se coller la main au bras d’un fauteuil avec de la superglu. Et la voilà sur son fauteuil, qu’elle ne peut plus quitter, trimbalée par sa mère sur son triporteur, hilare du bon coup qu’elle a fait à sa mère … Magnifique petite fille défiant le monde des adultes, au risque d’être mutilée !
Les Souliers de l’Aïd de Anis Lassoued (Tunisie/30’) raconte l’histoire d’un gamin qui ne fait que courir et qui rêve que son père lui achète pour l’Aïd les chaussures magiques qu’il a vues en devanture d’un magasin en ville. Le réalisateur filme merveilleusement ce gamin toujours en train de courir dans les ruelles du village ou dans les oliveraies, comme aérien. Il nous fait voir au détour du film l’intérieur familial, la mobylette sur laquelle le père descend en ville avec ses 3 enfants. Un pur plaisir !
Entropya de Yasmine Marco Maroccu (Maroc/24’) est d’abord un exercice de virtuosité cinématographique : un seul plan, dans un seul lieu, un appartement. La caméra circule d’une pièce à l’autre, de l’entrée vers le salon, puis vers le balcon. Mais pas seulement : c’est un huis-clos où se déroule la fête grinçante des 20 ans de mariage d’un couple. L a caméra les suit, sans jamais pouvoir les filmer en face à face, sinon en se servant des miroirs. Terrible confrontation où la femme lâche ses coups, les mots, sur son mari, machiste et égoïste, qui ne comprend rien ; auquel elle a servi 20 années durant la même soupe qu’il adore, mais qui cette fois aura un tout autre goût….
Eclectisme dans les sujets abordés. Le thème de la femme bannie est abordé deux fois, bannie parce qu’elle a été violée, Dance of outlaws, ou plus simplement parce qu’elle est enceinte hors mariage, Malak.
Dance of outlaws de Mohalmed El Aboudi (Maroc-Finlande/85’) est un documentaire exceptionnel, parce que la caméra a su s’introduire dans l’univers de cette jeune femme marginale et devenir un objet familier. On vit avec elle, on l’écoute, on partage avec elle ses efforts pour sortir de cette existence à la limite de la clochardisation. Sans doute le film le plus fort de la manifestation.
Malak de Abdeslam Kelaï (Maroc/97’) est une fiction, magnifiquement servie par l’actrice principale, Chaimae Ben Acha. C’est l’histoire de la descente aux enfers de Malak, bannie par sa mère, par son frère, par la société (les infirmières, la police, …), avec des moments d’humanité inattendus, venant de rencontres improbables, un SDF, une femme noire enceinte et clandestine en attente d’un passage en Europe … Certes sa mère a tout prévu : un accouchement clandestin à la campagne et l’abandon de l’enfant et Malak est près de se laisser faire pour retrouver le lien familial, mais toujours elle s’échappe. Rien n’est dit, mais on comprend.
On trouve tout au Maghreb des films.
Trois films avaient pour thèmes le sport féminin, A quoi rêvent les fennecs ? (l’équipe nationale féminine algérienne de footbal) de Sarah Tikanouine (Algérie / 2012 / 48’), Boxe avec elle de Robbana Doghri Latifa et Trabelsi Salem (Tunisie / 2012 /52’), Les Enfants de l’ovale de Grégory Fontana et Rachid Oujdi (France / 2012 / 55’). Tous ces films montrent comment les femmes se servent de l’activité sportive pour s’émanciper, socialement et individuellement, la plupart du temps contre leur environnement, notamment familial.
Le film sur la compagnie algérienne de danse contemporaine, O mon corps ! de Laurent Aït Benalla (France-Qatar / 2012 / 70’) nous surprend : la chorégraphie, le spectacle lui-même, nous y intéressent moins que le danseur, son rapport au groupe et au chorégraphe ! On ne voit pas le résultat final, on le vit des coulisses. Le film pose ainsi la question de la liberté dans le groupe : la cohésion, nécessité absolue pour la chorégraphie, ne peut exister sans la liberté de chacun. Mais il nous montre aussi des images magnifiques de répétitions, en particulier un danseur, un géant, qui montre une élégance et une souplesse extraordinaires.
Diversité des formes ! Certains films projetés sortent des formes classiques d’un récit. C’est le cas des « nouveaux » films algériens, comme, Demande à ton ombre de Lamine Ammar-Khodja (Algérie / 2012 / 82) (voir l’excellent commentaire de Wassyla Tamzali sur le site du Maghreb des films, page « bibliographie ») ou Lettres intimes à l’Algérie de Myriam Hammani (Algérie / 2010 / 62’). Ce dernier n’épouse pas la forme narrative usuelle, c’est un collage de scènes mises bout à bout, chacune filmée avec une mauvaise caméra d’amateur : scènes se déroulant à Paris, à New-York, au Laos, puis enfin à Alger et en Kabylie où l’on fait connaissance des cousins, oncles et tantes de la réalisatrice. On comprend qu’il s’agit du cheminement de cette dernière pour arriver à ses racines. Car elle est de mère américaine et de père Kabyle. Sorte de collage comme un tableau de Max Ernst, où chacune des images sont elle-même traitées comme des peintures – les reflets de la Seine sous Notre Dame, les mains d’une femme tatoueuse à New York … De chacune de ces scènes, monte une émotion qui trouve son sens dans la dernière scène en Kabylie.
Autre film à la forme et à la force étonnantes, C’est eux les chiens de Hicham Lasri (Maroc - 2013 - 85’). Comment rendre compte d’une tragédie, la répression avec une extrême violence d’une manifestation contre la vie chère au Maroc en 1981, les émeutes du pain ? Il y a eu des emprisonnements massifs et des … disparitions, des hommes que l’on a fait passer pour morts et que l’on a même enterrés vivants ! Le film pratique un mélange paradoxal de dérision comique (les journalistes dont le seul but est de « faire un sujet » sur cet homme sorti de prison, rencontré par hasard, mi clochard, mi fou) et d’émotion (ce même homme qui, trente ans après la manifestation, tout juste sorti de son enfermement, cherche des roulettes pour la bicyclette de son gamin qu’il imagine toujours gamin, alors qu’il est devenu depuis champion cycliste), ceci avec une caméra toujours mobile, épousant les mouvements des protagonistes.
Les racines, un thème qui revient aussi avec Madame la France, ma mère et moi (France/2012/52’), sorte de « cri » de Samia Chala. Quand elle vivait en Algérie, elle se faisait une idée de Madame la France, et voilà que depuis 1995, année où elle arrive en France, son image est toute autre. Ecoutons-là : « Féministe, laïque, croqueuse d’islamistes, j’ai vécu en Algérie jusqu’à l’âge de trente ans. J’ai quitté mon pays dans les années 90, au moment de la guerre civile. Exilée à Paris, j’ai découvert avec curiosité Madame la France, comme disent les vieux immigrés. Mais avec les incessants débats sur le voile, la laïcité, l’islam, les musulmans… mon histoire d’amour avec Madame la France s’est singulièrement compliquée. ... ».
Il y a trois types d’images. Samia Chala lovée dans les bras de la République (la statue, place de la République à Paris) ; Samia Chala essayant, devant un miroir, les voiles de sa mère qu’elle avait ramenés de Kabylie ; Samia Chala avec sa tante, sorte de double de sa mère disparue depuis quelques années. C’est un « cri », car elle ne cherche pas à démontrer, et il est bouleversant. Comment concilier l’inconciliable : la mémoire de la guerre que porte sa tante, les expropriations, les menaces permanentes de viols, les destructions, l’origine musulmane, la culture française, l’image que celle-ci lui colle … et sa mère ? La projection a suscité beaucoup de questions, mais aussi de contestations, restées malheureusement sans réponses, car l’affluence à La Clef n’a pas réellement permis d’en débattre.
Bien sûr, il y a bien d’autres films tout aussi intéressants, Fidaï, mémoire d’un tueur du FLN, Journal de révolution, la vie au sein de milices libyennes, tous deux documents uniques, La Marche et surtout Les Marcheurs, chronique des années beurs de Samia Chala encore, Juifs et Musulmans, si loin, si proches de KatimMiské, etc.
Une mention spéciale pour Zéro de Nour->Eddine Lakhmari, grand prix au festival de Tanger, polar à l’américaine totalement marocain, si vous ne l’avez pas vu, courez le voir, il vient de sortir en salles (Les 3 Luxembourg).
Un cru exceptionnel donc, sans immodestie, et de l’avis de tous…
Mais le Maghreb des films se poursuit à Lille, à Argenteuil, etc.
Bernard Gentil