Année 2006 / 120’
Production CTV Films
Distribution Les Films de l’Atalante
Avec Lotfi Abdelli, Lotfi Dziri, Afef Ben Mahmoud, Fatma Ben Saidane, Foued Litaiem…
Biographie
Né en 1945 à Sfax.
Il étudie à partir de 1968 le cinéma à l’INSAS (Institut National des Arts du Spectacle et Technique de Diffusion) à Bruxelles. En 1972 il y obtient son diplôme de fin d’études avec un court métrage, "Duel". La même année, il entame son activité professionnelle comme stagiaire sur "Rendez-vous à Bray" d’André Delvaux.
Dès son retour en Tunisie 1972-73, il fréquente la Télévision Tunisienne (RTT).
Il a été arrêté et emprisonné pendant plus de cinq ans (1973-79) pour délit d’opinions et pour appartenance au groupe radical Perspectives. Il a vécu la torture, l’enfermement, l’enfer.
Sorti de prison, il travaille comme assistant réalisateur sur plusieurs films tunisiens et étrangers. Son premier long métrage L’homme de cendres (1986) est sélectionné à Cannes, Namur et couronné dans plusieurs festivals (le Tanit d’or des Journées Cinématographiques de Carthage). Il raconte l’histoire d’Hachemi, un jeune homme qui au moment de se marier voit renaître en lui les démons de sa jeunesse.
En 1989, Les sabots en or confirment le talent de Bouzid. Le cinéaste aborde des thèmes autobiographiques comme l’engagement politique et la prison au travers de l’histoire de Youssef, un intellectuel de 45 ans qui se retrouve seul à sa sortie de prison.
En 1993, il présente à la Quinzaine des réalisateurs Bezness, qui sera projeté ensuite à Namur. Bent Familia était également sélectionné au FIFF en 1997. Avec Bezness qui désigne en Tunisie les jeunes prostitué hommes qui se vendent aux touristes, Bouzid traite des effets pervers du tourisme et d’une jeunesse tiraillée entre Orient et Occident.
Le cinéaste reste dans la chronique sociale avec Tunisiennes en 1997. Il s’intéresse cette fois à la femme dans la société tunisienne moderne. En brossant le portrait de 3 femmes au parcourt différents mais à la même volonté de liberté, Bouzid livre un regard plutôt pessimiste sur l’émancipation de la femme dans son pays.
En plus de son activité de réalisateur, Nouri Bouzid collabore à l’écriture de nombreux succès du cinéma tunisien comme Halfaouine - l’enfant des terrasses (Ferid Boughedir, 1990), La nuit de la décennie (Babaï Brahim, 1990), Le sultan de la médina (Moncef Dhouib, 1992), Les silences du palais (Moufida Tlatli, 1994), La saison des hommes (Moufida Tlatli, 2001).
Il participe, en 1994, à la fondation d’une école de cinéma, l’EDAC, où il enseigne depuis.
Il retourne derrière la caméra en 2002 pour Poupées d’argile. Une nouvelle fois, il porte son regard sur les travers de la société Tunisienne en racontant l’histoire de Rebeh, une jeune « bonne à tout faire » qui s’enfuit de chez ses patrons pour échapper à sa condition et vivre enfin libre.
En 2006, il réalise Making Of et film un réalisateur qui peine à finir son film traitant du terrorisme et de l’embrigadement dont l’acteur refuse de continuer car il ne veut pas jouer un terroriste. Cette mise en abîme permet à Bouzid de questionner la place de l’Islam dans son pays.
Dix ans après L’Hommes de cendres le film reçoit le Tanit d’or du festival de Carthage et l’acteur Lotfi Abdelli est récompensé pour son interprétation au Festival Panafricain de Ouagadougou.
En 2013, Bouzid réalise Millefeuille, un film sur l’émancipation de la femme sur fond de révolution tunisienne.
Revue de presse
L’intégrisme, la folie et la mort
Le nouveau film du Tunisien Nouri Bouzid trouve enfin le chemin de nos écrans.
Making of, de Nouri Bouzid.Tunisie. 2 h 00.
Ce sont des jeunes comme il y en a partout, des rappeurs qui, entre danse et acrobaties, profitent de leur corps comme on peut le faire à vingt ans. Signe particulier, nous sommes dans la banlieue de Tunis où Bahta (Lotfi Abdelli), le meneur du groupe, a un cousin dans la police, ce qui arrange bien les choses quand il faut fermer l’œil sur les petits larcins. Par ailleurs Bahta, vingt-cinq ans, a une mère, deux sœurs, un jeune frère, un père qui ne lui donne plus d’argent depuis qu’il a raté son bac et il n’a, de surcroît, jamais travaillé. Une vie de paumé, donc, avec tout ce qui peut aller avec : une bande de glandus lourds comme peuvent l’être des garçons désœuvrés entre eux là où les filles sont plus mûres et fortes, s’il n’y avait cette passion pour la danse. Complément de frustration, la télévision qui montre en direct la chute de Bagdad. C’est sur ce désarroi que vont s’appuyer les barbus pour convaincre Bahta de rejoindre la cause intégriste.
Le film pourrait ainsi poursuivre son chemin si, au bout d’une quarantaine de minutes, nous ne découvrions qu’il s’agit en fait du tournage d’un film, avec un acteur soudain en révolte contre son personnage. Le procédé, qui vise à la distanciation, serait habile en ce qu’il permet au réalisateur d’expliquer à son comédien, donc à nous, qu’il fait le procès du fanatisme et non de l’islam en tant que tel, mais il en vient du coup, involontairement, à mettre en parallèle la pression qu’exerce le réalisateur pour plier le comédien à sa volonté de poursuivre le tournage et celle des barbus de plier le personnage à leurs fins criminelles. Maladroit. Dommage, car le film offre, en particulier lors d’une poursuite vers la fin dans les docks, plusieurs scènes magnifiques. Couronné dans les festivals depuis trois ans, Making of sort enfin.
Jean Roy
L’Humanité
La fabrique du fanatisme
La descente aux enfers d’un rebelle happé par l’intégrisme. Courageux.
Au début, il est tout feu tout flamme. Bahta, 25 ans, bandana sur le front, danse le hip-hop dans les rues de sa ville, en Tunisie. Son énergie est vive, difficile à canaliser. Il n’a pas de boulot. A la maison, son père le fouette encore au ceinturon. Alors le rebelle s’expose, a des histoires avec les flics. Il est sur le point de partir en vrille lorsqu’un islamiste décide de l’encadrer.
Nouri Bouzid est un pilier du cinéma tunisien, qui a montré du courage à briser les tabous, que ce soit dans L’Homme de cendres ou dans ses multiples scénarios (Halfaouine, l’enfant des terrasses, Les Silences du palais).
Son engagement moral est intact. En effet, ils ne sont pas légion, les films qui abordent ainsi le fondamentalisme, de l’intérieur, en décrivant avec force détails un lent mais sûr processus d’endoctrinement.
Le film montre bien comment Abdallah, le marbrier intégriste, parvient à amadouer Bahta, en le flattant et en le protégeant au début, en lui fournissant de l’argent, un métier, un toit. Le réalisateur suit notamment l’étude du Coran au jour le jour, avec les doutes et les questions du disciple, les interprétations multiples du djihad, l’amalgame du religieux et du politique.
On voit le personnage se transformer, renier la danse, violenter sa petite amie. Se renfermer. Débuté comme une comédie sociale truculente, le film vire au noir, au silence. Le cinéaste aurait pu faire l’impasse sur une mise en abyme maladroite, où il explique ses intentions au comédien principal soudain réticent à jouer son rôle. C’est lorsqu’il fait confiance à la seule fiction que Nouri Bouzid est le plus mordant.
Jacques Morice
Télérama
Les vicissitudes d’un danseur de hip-hop tunisien pris dans l’engrenage de l’islamisme intégriste.
Pour justifier son titre, le vétéran Nouri Bouzid intègre à sa fiction quelques rares séquences, qui tombent comme des cheveux sur la soupe, où l’acteur principal s’en prend au réalisateur sur le plateau de tournage. Effet de distanciation très ponctuel et peu convaincant, qui a tendance à plomber encore plus un film déjà très démonstratif et mélodramatique.
Bref, malgré sa vitalité, sa couleur et sa générosité, Making of reste une œuvre convenue et politiquement correcte sur les méfaits du fanatisme islamiste. Ce qui convainc le moins, c’est la tonalité tragique du récit. On serait beaucoup plus impressionné par la description froide et clinique de l’entraînement d’un parfait petit soldat de Mahomet. La manière dont on dédouane in fine le héros pour qu’il reste un héros est dépassée.
Vincent Ostria
Inrockuptibles
Making of : un sujet délicat traité avec trop de poncifs
Bahta, jeune chômeur en rupture familiale et sociale, exprime sa révolte contre une société tunisienne corsetée et inégalitaire en dansant dans les rues avec une bande de copains. Repéré par une cellule intégriste, il est discrètement pris en mains et détourné de ses rares attaches, dans le but d’en faire un fanatique prêt à mourir pour la cause.
Partant d’un constat juste - l’instrumentalisation des défaillances politiques et de l’injustice sociale par l’islamisme radical - et se consacrant à une description ambitieuse du mécanisme par lequel il arrive à ses fins, Making of se confronte à un sujet à la fois délicat et difficile à mettre en œuvre.
En dépit du courage de sa prise de position, Nouri Bouzid, son réalisateur, n’évite pas les maladresses et les poncifs qui ruinent la crédibilité de l’œuvre. La description de la révolte du personnage, danseur de rue surranné qui évoque l’univers de Grease, est ainsi entachée d’un ridicule achevé, avant que le film n’opère un virage à 180 degrés en se livrant à un exercice brechtien assez fastidieux, qui consiste à alterner le récit de l’embrigadement du héros et les protestations de son interprète auprès du cinéaste à devoir incarner un tel personnage.
Ajoutons à cela un surjeu hystérique à peu près constant et une représentation des islamistes digne d’une caricature des "Guignols de l’info" et l’on se fera une petite idée du tableau final. C’est d’autant plus désolant que Nouri Bouzid a montré par le passé (notamment avec son premier long métrage L’homme de cendres, 1986) qu’il était un cinéaste d’un grand talent et d’une grande sensibilité.
Jacques Mandelbaum
Le Monde