Journal du Maghreb des films 2012
Aujourd’hui, samedi 14 avril
A 15h :
« La Montagne de Baya » de Azzedine Meddour (1997 - 106’)
Film magnifique amazigh
En Kabylie, au début du siècle, un village entier doit fuir l’oppression française. Une femme, Baya, refuse l’affront d’une coutume : un seigneur féodal, meurtrier de son mari, lui offre une bourse de Louis d’or, la ddiya, le prix du sang versé.
Présentation en présence de René Vautier (sous réserve)
A 18h :
« L’Aube des damnés » de Ahmed Rachedi (1965 – 100’)
Après l’Indépendance, un groupe de jeunes Algériens cherchent dans les livres, les musées, le passé des peuples colonisés de l’Afrique et de l’Asie.
Œuvre ambitieuse, elle était l’hommage de l’Algérie libérée à tous ceux qui luttent contre le colonialisme et l’oppression.
Tout le souffle épique et tout l’enthousiasme provoqué par l’indépendance de l’Algérie est contenu dans les mots et les images de ce film.
Présentation en présence de René Vautier (sous réserve) et de Ahmed Rachedi
A 20h :
« Avoir vint ans dans les Aurès » de René Vautier (1972 – 97’)
Le 21 avril 1961, dans le massif des Aurès (Sud algérien), un commando de l’armée française formé d’appelés bretons affronte un groupe de l’Armée de libération nationale lors d’une embuscade. Les soldats parviennent à faire prisonnier deux fellaghas, dont une femme, et à trouver refuge dans une grotte.
Un soldat français blessé au cours de l’accrochage, instituteur dans le civil se remémore la façon dont leur chef a su les transformer, de jeunes Bretons antimilitaristes qu’ils étaient, en redoutables chasseurs de fellaghas, prêts à tuer et y prenant goût. Tous se sont mis à piller, tuer et violer.
Une plongée dans les contradictions de la guerre d’Algérie autant que dans celles de l’âme humaine.
Présentation en présence de René Vautier (sous réserve)
A 22h :
« Le Vent des Aurès » de Lakhdar Hamina (1966 – 90’)
Film mythique des premières années du cinéma algérien
Dans une Algérie colonisée par la France, au fin fond de la campagne (les Aurès), une mère cherche désespérément son fils raflé par l’armée française et incarcéré depuis plusieurs semaines dans un camp.
Avec courage, elle défie les soldats français pour le trouver, allant d’un camp à l’autre
Présentation en présence de Lakhdar Hamina
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Demain, dimanche 15 avril
A 14h :
« Les Anneaux d’or » de René Vautier (1956 – 14’)
Au moment de l’indépendance, les propriétaires de gros bateaux décident de vendre, alors que beaucoup de petits pêcheurs se retrouvent bientôt sans travail. Leurs femmes décident alors de mettre en commun leurs anneaux d’or pour les vendre et ainsi racheter des bateaux.
« Et le mot frère et le mot camarade » de René Vautier (1985 – 47’)
Peut-on écrire l’histoire en poèmes ? C’est ce qu’a tenté René Vautier, à la demande du Musée de la Résistance Nationale, avec l’aide de grands poètes (Aragon, Eluard, Desnos).
Et aussi en s’appuyant sur des poèmes écrits dans les prisons et les camps de déportation, des poèmes de fusillés.
A 15h20 :
« Vous avez dit Français ? » de René Vautier (1986 – 45’)
Une autre histoire de France, celle des vagues d’immigration successives et la façon dont elles se sont plus ou moins intégrées dans le supposé creuset national, ce qui permet une réflexion informée sur la notion d’identité collective.
A 17h30 :
« La Folle de Toujane » de Nicole Le Garrec et René Vautier (1973 - 150’)
Les itinéraires de deux amis d’enfance, Roger, instituteur, et Gwen, animatrice de radio. Le premier est en Tunisie pour « propager » la culture française. Il assiste aux indépendances tunisienne et algérienne tandis que son amie mène une vie monotone à Paris.
A la fois une histoire d’amour : deux jeunes qui se plaisent, s’aiment et vieillissent séparément parce que la vie, le boulot, les autres, les séparent et les rendent différents.
Et une histoire politique : une fille qui accepte de s’intégrer dans un système et un gars qui refuse jusqu’à en crever.
Et aussi une histoire de peuples qui se réveillent, qui se retrouvent, au besoin en faisant craquer un système.
Débat avec René Vautier (sous réserve) et Marie Chominot
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Hier, vendredi 13 avril
Le regard de Marion Pasquier
Avec « Déjà le sang de mai ensemençait novembre », René Vautier utilise encore une fois sa caméra comme "arme de témoignage" et "instrument de paix" pour montrer l’illégitimité de la colonisation et les abjections auxquelles elle a donné lieu. Reparcourant l’Histoire, depuis la conquête de l’Algérie à Sidi Ferruch jusqu’à l’Indépendance en passant par le 8 mai 1945, c’est en donnant la parole qu’il prend parti. La force et l’originalité du film sont là, dans le souci pédagogique du cinéaste, qui fait passer un message prégnant sans jamais le matraquer.
René Vautier est là. A l’image en train d’interroger de jeunes algérois dans la rue, ou face caméra à nous parler de son Afrique 50, ou encore en voix off. Mais c’est aussi en laissant la place à ceux qui partagent son point de vue qu’il s’exprime. Ainsi de ce photographe algérien éditant un livre d’images et de gravures datant d’avant la colonisation pour montrer que l’Algérie, en 1830, était au même niveau de civilisation que certains pays d’Europe ; de ces peintres travaillant collectivement, aidés par des historiens pour être objectifs et précis, à représenter l’image de l’Algérie qui lui a été confisquée par les colons ; de ce jeune homme désirant instaurer un dialogue entre français et algériens pour rétablir la paix. Devant et derrière la caméra, c’est le même dessein que l’on poursuit.
Lorsque la parole est donnée aux colons, c’est autant l’ironie, voire l’humour, que l’effroi, qui s’invitent dans le film. René Vautier nous lit, face caméra, des textes écrits par des soldats français au début de la colonisation. Si l’on frissonne d’entendre des propos belliqueux et méprisants (les algériens seraient des fainéants préférant fumer que cultiver leurs terres, leurs femmes, à la sensualité exacerbée par la chaleur, offriraient leurs corps de bonne grâce aux soldats français), on sourit aussi des commentaires acerbes du cinéaste ponctuant sa lecture de séries d’exactions par des "tout ça, pour la civilisation".
L’inepsie se dégage aussi des seules situations lorsque, dans des extraits d’un autre opus du cinéaste (avec ici pour bande son "tout va très bien, Madame la Marquise"), un enfant algérien dit à son instituteur français qu’il ne comprend pas pourquoi ses ancêtres sont les gaulois, comme il est écrit dans les livres ; lorsqu’un inspecteur s’offusque que la classe algérienne ne connaisse pas par cœur les préfectures françaises. L’instituteur a pris conscience de l’absurdité de sa mission, il ne veut pas former du bétail endoctriné au colonialisme. L’inspecteur, alors, le fait mettre en arrêt maladie - "trop agressif".
Dans de tels moments, nous sourions, jaune. Et puis le sourire s’éteint lorsque, exemples précis à l’appui, le parallèle est établi entre les soldats français colonisateurs et les nazis, ou lorsque Kateb Yacine raconte le massacre du 8 mai 1945 à Sétif. Ailleurs, nous sommes interpellés par les propos de ce dernier quant à Albert Camus. Pour l’écrivain algérien, si Camus aurait probablement pris parti pour l’indépendance, s’il n’&était pas mort prématurément, il restait dans une position morale manquant d’implication. Dans ses livres, Camus parlerait des paysages algériens (Tipasa, les plages), et non de gens, qui ne seraient que des esquisses désincarnées (cf l"arabe" dans L’étranger). Et Yacine d’appuyer son opinion en citant Faulkner, qui lui connaissait les noirs dont il faisait de vrais personnages de romans, Camus au contraire ayant vécu avec des Européens et s’étant montré peu curieux des algériens. La même critique est faite au cinéma colonial, par un intervenant (Boudjema Kareche, directeur de la cinémathèque d’Alger) disant que ce dernier n’a fait que répéter la même image simpliste de l’algérien (toujours perçu comme un fuyard ou quelqu’un qui crie) sans jamais le décrire ni l’incarner.
Pour montrer le passé, René Vautier n’a pas recours aux seules images d’archives mais à des dessins, des peintures, des gravures, des photographies, dans lesquelles la caméra se promène, tentant ainsi de nous faire ressentir l’Algérie du passé et les visages des gens représentés rendus palpables par des mouvements de zoom. La musique s’invite de façon pertinente, et le rythme ne tarit pas. La voix off, qui aurait été trop facile, n’est pas employée à outrance, le cinéaste préférant laisser la réalité brute et vivante s’exprimer, par le biais des interventions des gens filmés. Face à ces tableaux visuels, à ces paroles prononcées, à la richesse de la bande son, le spectateur dispose d’un espace suffisant pour investir le film. Cela ne lui permet que mieux d’assimiler ce que raconte le cinéaste, de se révolter avec lui, parfois par le sourire.